A LA GUERRE COMME A LA GUERRE
- Philippe Broda
- 23 juin 2024
- 4 min de lecture
A la différence du Salon de l’agriculture, la biennale de la défense Eurosatory n’attire pas le grand public. Il n’y a pas de familles qui s’y rendent pour admirer les nouveautés du terroir. La nature même des produits exposés l’explique : il est impossible d’offrir un tank comme cadeau à sa mère. Pourtant la dernière édition de ce salon a fait parler bien au-delà du cercle des spécialistes de la défense.
En interdisant aux entreprises israéliennes de participer au salon Eurosatory, le président de la République a créé une polémique qui a conduit à un imbroglio judiciaire qui est loin d’être achevé. Revenons tout d’abord aux motivations d’Emmanuel Macron. Pendant la récente guerre d’Israël, son fameux « en même temps » s’est transformé en « grand écart ». Non content d’être parmi les premiers chefs d’Etat à consoler les familles de victimes du 7 octobre, il réclama dans la foulée la formation d’une coalition internationale afin d’anéantir le Hamas. Un mois après environ, il militait pour un cessez-le-feu immédiat qui rendait la libération des otages fatalement secondaire. Dans le même ordre d’idée, Macron a condamné sans ambiguité la montée de l’antisémitisme en France mais il a refusé de se joindre à la « grande marche civique » de novembre. Il n’a pas justifié son absence par son statut : un président ne manifeste pas. Ce qui aurait été audible. Il n’a pas invoqué non plus un agenda surchargé. Il a préféré mettre en avant la nécessaire unité du peuple, comme s’il était essentiel de ne pas heurter les bons Français qui seraient eux-mêmes antisémites.
L’autre élément important à rappeler dans cette affaire est l’impulsivité du président, son incapacité à garder ses nerfs, que ses rationalisations a posteriori ne parviennent jamais à réellement masquer – ses propos sur l’envoi de soldats français en Ukraine ou sa récente dissolution de l’Assemblée nationale en témoignent. Dans le cas qui nous occupe, l’ire macronienne avait été provoquée par une interview sur LCI de Benjamin Netanyahou. Le Premier ministre israélien avait souligné que la France avait tué de nombreux civils dans une opération au Mali en 2021 sans que pour autant il ne soit qualifié de criminel de guerre. Le sang de Macron n’a fait qu’un tour. Les démêlés d’Israël devant les juridictions internationales lui ont servi de prétexte. Ce pays étant accusé des pires turpitudes, il était essentiel de lui interdire d’exposer, c’est-à-dire de vendre des armes. Que des dictatures aient eu libre accès à l’événement sans que Macron n'ait trouvé à redire montre la vacuité de l’argument. Et puis le problème était-il qu’Israël vende ou bien achète des armes ? Le tribunal de Bobigny vint opportunément au secours du président en fermant les portes d’Eurosatory aux industriels du pays ainsi qu’à leurs intermédiaires.
Dans la précipitation, le juge des référés avait simplement interdit le salon aux porteurs d’un passeport israélien – les visiteurs devaient remplir un formulaire en ce sens. Ce fonctionnement restait relativement primitif. S’il avait disposé de davantage de temps, le fier magistrat aurait été en mesure de développer son système de bannissement. Pour ce faire, il se serait probablement inspiré des lois nazies sur la définition des Juifs, en remplaçant uniquement Juifs par Israéliens. Outre sa déclaration sur l’honneur attestant qu’il n’était pas binational, le visiteur aurait été contraint de prouver que ses parents n’étaient pas des Israéliens – et, si l’un l’avait été, on serait remonté aux grands-parents. Une exemption pour les Israéliens non juifs aurait même été imaginable. Les Allemands avaient mis en place un traitement méthodique des sang-mêlés (mischlinge) qui n’aurait pu que forcer l’admiration du juge. Hélas, saisi par la chambre de Commerce France-Israël, le tribunal de Commerce a estimé que cette décision était « discriminatoire », ordonnant aux organisateurs du salon de réintégrer immédiatement les entreprises israéliennes. Tout cela au grand dam de La France Insoumise, effrayée par le contrôle exercé par des « dragons célestes » sur la République.
Pour compléter le tableau, souvenons-nous que, dans le commerce des armes, l’hypocrisie règne en maître. Le vendeur tend même à y imposer des restrictions d’utilisation de ses produits. C’est peu courant… Comparons avec le secteur automobile où le constructeur ne se demande pas si le conducteur risque de commettre un excès de vitesse avant d'accepter son argent. La meilleure preuve qu’il s’en moque est qu’il ne bride pas ses moteurs, ce qui réglerait le problème. Ah, je veux bien vous vendre mes bombes mais vous devez souscrire à toutes les clauses du contrat et prêter attention aux astérisques : pas d’utilisation dans telle zone entre 6 heures et 8 heures du matin. Conscient que sa dépendance aux livraisons étrangères le fragilise, le petit Israël fabrique du matériel militaire. Il a en exporté pour plus de 13 milliards de dollars en 2023, montant doublé en cinq ans. Et, malgré Macron, ce n’est pas fini. Il n’y a évidemment pas de quoi se réjouir puisque le savoir-faire de l’Etat hébreu est lié à sa situation de pays en guerre. Plus surprenant est le classement de la France, en guerre contre on ne sait qui et dont les dernières victoires remontent à Louis XIV et Napoléon. Pourtant, c’est un cador en la matière. Bizarre ! Au fait, cette sanction, ce n’était pas aussi pour écarter un concurrent, monsieur le président ?
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