CARNET DE GUERRE
- Philippe Broda
- 5 juil.
- 4 min de lecture
Trump appelle Khamenei qui lui raconte son rêve : « Nos avions survolaient New York. Sur le toit de la mairie, il y avait une banderole géante : ‘Bienvenue aux Etats Unis d’Iran’
- C’est fou, répond Donald. J’ai moi-même rêvé cette nuit que nos avions survolaient Teheran. Il y avait également une banderole.
- Qu’est-ce qui était écrit, demande le Guide suprême ?
- Je ne sais pas. Je ne lis pas l’hébreu. »
C dans l’Air. Les invités de l’émission sont plongés dans un état de stupeur. Comment les Etats-Unis ont-ils osé larguer des bombes GBU 57, qui pulvérisent tout sur leur passage avant de ressortir du globe terrestre par en dessous ? L’émotion est palpable. Face à l’incertitude, se raccrocher à des repères est toujours la meilleure stratégie et, ouf, Donald Trump et Benjamin Netanyahou comptent parmi les principaux protagonistes de l’affaire. Entre gens de bonne compagnie, on ne peut que se retrouver sur le dénigrement de leur action qui fragilise la stabilité régionale. Cela n’empêche pas que des nuances se dessinent. Ce sont des experts, pas des perroquets. L’un affirme que Trump est un balourd que tous manipulent. Qui a oublié comment Vladimir Poutine l’a roulé dans la farine ? Un autre affiche un léger désaccord. Selon lui, c’est Bibi qui a réussi à ensorceler le Président des Etats-Unis grâce à ses pouvoirs diaboliques. Il l’a marabouté. Ce fou de guerre qui tire sur tout ce qui bouge est désormais en « roue libre ». Dans sa démesure, rien ne l’arrêtera. A se demander si, au cas où Poutine y renonçait, l’armée d’Israël n’envisagerait pas de défiler sur les Champs Elysées après avoir défait la France ?
C dans l’Air, le retour. On prend quasiment les mêmes et on recommence. Après douze jours de combats, le Président Trump a sifflé la fin de la récréation dans son style indépassable. Il a tancé vertement les Israéliens qui, par leur comportement, mettaient en danger son annonce de cessez-le-feu : « Tous les avions vont faire demi-tour et rentrer à leur base en faisant un signe amical à l’Iran ». Israël a obtempéré immédiatement. En plateau, les participants exultent et qu’importe si les Iraniens ont été également l’objet de ses remontrances. Voir comment le Premier ministre israélien est rentré à la niche sans histoire leur procure le plus authentique des bonheurs. Le « Quand les hommes de 130 kilos disent certaines choses, ceux de 60 kilos les écoutent » de Michel Audiard, pourtant évocateur, ne sera pas cité. Ces éminents spécialistes préfèrent citer Clausewitz et Liddell Hart. C’est plus distingué. Tout à leur enthousiasme, ils ne sont pas capables de prendre conscience des aspects contradictoires de leur analyse. Il faut décider qui est le petit toutou de qui ? Mais, après tout, doit-on leur en tenir rigueur ? Dans la République des émotions, la cohérence compte si peu.
L’évaluation de la réussite des bombardements israélo-américains est un autre grand moment d’intelligence. Elle fait écho à la question : l’Iran était-il proche de la fabrication de l’arme nucléaire ? Deux camps apparaissent. Ceux qui sont en mesure de dépasser leur haine de Netanyahou soulignent la menace que l’Iran faisait peser sur le Moyen Orient. Selon eux, l’opération d’Israël se justifie. Le régime des mollahs était à deux doigts de la bombe et les résultats de la tentative de neutralisation sont particulièrement encourageants. Ceux qui préféreraient mourir plutôt que de donner un bon point à Bibi exposent une double thèse : l’Iran était loin de la bombe et ces bombardements ont échoué. Les Iraniens, qui se doutaient qu’une attaque se tramait, auraient déplacé leur stock d’uranium enrichi peu avant le largage des bombes. La noria de camions devant le site de Fordo n’avait apparemment pas attiré l’attention des satellites d’observation. Soit. Mais, dans ce pays où le Mossad est si bien infiltré, quelle est la probabilité qu’il ignore durablement la localisation du nouveau site d’entreposage, quand bien même serait-il le garage de la grand-mère d’Ali Khamenei ?
En fait, hormis un nombre très réduit d’individus, personne ne possède d’informations fiables pour se prononcer sur l’efficacité des frappes. Emettre un avis est un exercice de pure spéculation dans lequel les opinions préétablies servent le plus souvent de boussole. Le journaliste israélien Avi Issacharoff a pourtant posé les termes du débat avec sagesse. Supposons que le projet d’une bombe iranienne ait été repoussé pour longtemps. Qu’il ait été mené sous la houlette de l’actuel gouvernement israélien ne doit pas interdire de s’en réjouir. Cela n’oblige en rien à voter Netanyahou lors des élections suivantes. Le 7 octobre n’est pas effacé par la « Guerre des douze jours » . Plus que cela, le dirigeant israélien n’a aucune raison de se sentir exonéré de sa responsabilité dans cette tragédie par les événements récents. La nécessité d’instituer une commission d’enquête pour faire la lumière sur cette question n’est pas moindre. Dans la vie, personne ne prend des décisions systématiquement géniales ou nulles. Parfois, on fait le bon choix et, à d’autres moments, on se trompe. Pourquoi la sphère politique échapperait-elle à cette évidence ? A cause des passions qu’elle suscite ? Que les idéologues plongent alors la main dans l’eau froide.
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