CE QUE BIBI A FRICOTE
- Philippe Broda
- 12 oct. 2024
- 3 min de lecture
Une antonomase est une figure de style qui consiste à remplacer un nom commun ou une expression par un nom propre… ou bien l’inverse. Désigner l’Etat d’Israël par Netanyahu en est donc une. La pratique relève d’une intention maligne, à moins qu’elle ne repose sur une ignorance crasse de la personnalité du dirigeant israélien, doublée d’une méconnaissance des sentiments de la population israélienne.
Un Premier ministre israélien éreinté par l’opinion publique mondiale, ce n’est pas une nouveauté à proprement parler. Il faudrait plutôt se demander s’il y en a eu un qui a échappé à l’accusation d’être un boutefeu irresponsable – mis à part Rabin, devenu après sa mort un symbole de la lutte contre l’extrême-droite israélienne. Ces préjugés sont utiles pour éclairer les incohérences du portrait habituellement dressé de Benjamin Netanyahu. Remontons en 1998. Le processus de paix est encore sur les rails. Un accord intermédiaire vient d’être signé à Wye Plantation. Selon « Les Echos », c’est un simple exemple : « les violentes critiques proférées contre Yasser Arafat et Benyamin Netanyahu par les extrémistes palestiniens, arabes et israéliens, qui dénoncent leur ‘trahison’, sont un gage que [ce] mémorandum… est susceptible de relancer le processus de paix ». Quoi, Bibi serait-il un politicien raisonnable ? Le journal poursuit : il « affronte les irréductibles de son propre camp, quand bien même il pourrait compter à la fois sur une large approbation de l'opinion publique et sur une partie de l'opposition à la Knesset ». Un homme d’Etat au-dessus des partis peut-être ? Le dilettantisme des analystes est magnifique.
En réalité, Bibi est un homme politique ordinaire, un peu plus roué que d’autres peut-être, avec une capacité à rebondir apparemment exceptionnelle. Son objectif, se maintenir au pouvoir, tellement décrié dans les médias, est celui de l’immense majorité des politiciens par-delà les frontières. C’est sa constante. Ajoutons que son souhait de gêner la création d’un Etat palestinien, est un autre de ses invariants. Tant que c’est possible. Voilà pourquoi, sous la pression américaine, Bibi a signé à Wye Plantation. Entre ses deux aspirations, les convictions sont tout de même secondaires. En 1998, il se mesurait avec la frange la plus dure du Likoud, son parti. En 2009, il menait campagne et se faisait élire sur un programme radical, neutraliser le Hamas, se positionnant délibérément contre les modérés de son camp. Inutile de préciser qu’il n’engagea aucune action contre l’organisation terroriste. Quand on tient les rênes du pouvoir sans risque de perdre le soutien des députés, déclencher une entreprise particulièrement aventureuse revient à jouer à chamboule-tout. Lors de l’opération « Roc inébranlable » de 2014, c’est Bibi qui empêcha de se lancer dans la conquête de la bande de Gaza.
Jugé timoré, Bibi a fini par être lâché par ses alliés de droite, cela dans un contexte où l’extrême-droite de Ben Gvir et Smotrich n’existait pas. La position qu’il s’est progressivement construite se résume en un slogan : « au silence |[des roquettes] répondra le silence [de Tsahal] ». Afin de la rendre plus consistante, il a décidé de transiger avec le Hamas, faisant ainsi d’une pierre deux coups : il assurait le calme dans le Sud d’Israël et affaiblissait l’Autorité palestinienne, jouant de la rivalité entre les deux organisations. Le raisonnement de Bibi s’appuyait sur une hypothèse : le Hamas était normalement « dissuadé ». Et s’il hésitait encore un peu, le Qatar l’apaiserait une fois pour toutes lui versant des dizaines de millions de dollars. Qu’une partie conséquente de ces fonds ait été destiné à préparer la guerre ne mit jamais « la puce à l’oreille » de Bibi. Certes, s’il avait alors attaqué le Hamas, les bien-pensants lui seraient tombés dessus, les même bien-pensants qui lui reprochent maintenant d’agir et imaginent la paix avec un Hamas à Gaza. Mais, comme disait Audiard, leurs avis sont à utiliser surtout sous forme de suppositoire. C’est au peuple d’Israël que Bibi doit rendre des comptes pour son choix politique catastrophique.
Un an plus tard, Bibi est le seul responsable de la sphère politico-militaire à avoir refusé d’assumer ses responsabilités à propos du 7 octobre. Quelques-uns ont déjà présenté leur démission. D’autres le feront à la fin des hostilités. Le positionnement invraisemblable de Bibi ne peut avoir qu’une explication : une forme d’aveu l’affaiblirait politiquement. Cet entêtement est source d’une terrible confusion dans le pays. Deux événements ont commémoré le 7 octobre. Ils ont été dignes et émouvants tous les deux. L’alternatif, qui s’est tenu à Tel Aviv, n'était pas politique. Il rassemblait des citoyens de gauche, de droite, des religieux, des laïcs, qui réclament juste la constitution d’une commission d’enquête. L’officiel a eu lieu à Ofakim. Il a fallu l’intervention du Président Herzog pour que les deux cérémonies ne se télescopent pas... Malgré quelques dépositions bouleversantes, avec son agenda politique, la commission d’enquête citoyenne est une farce. Le défilé des adversaires politiques de Bibi et d’anciens responsables de la sécurité revanchards est éloquent. Les victimes du 7 octobre méritent une commission d’enquête officielle. Sans investigation de ce type, où serait la morale juive ? Ne pas lâcher…
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