CHINOISERIES
- Philippe Broda
- 23 août
- 4 min de lecture
Moins de 10 millions de Juifs résident en Diaspora. Si tous s’installaient en Chine, ses nationalistes n’invoqueraient probablement pas le risque d’un « grand remplacement ». Le pays compte en effet plus de 1,4 milliard d’habitants. Est-ce pour autant qu’il pourrait devenir le prochain eldorado, « goldene medine » comme les askhénazes qualifiaient les Etats-Unis au siècle passé ? Peut-être bien que oui.
Il ne fait guère de doute que l’hypothèse chinoise comme solution aux mauvais traitements endurés par le peuple juif en Occident est susceptible de susciter bien des sarcasmes. Comment imaginer s’épanouir dans le cadre d’un régime autoritaire ? Est-il plaisant d’être régulièrement soumis à des systèmes de reconnaissance faciale ? En fait, c’est la faillite des sociétés les plus avancées, leur incapacité à protéger les Juifs face à l’antisémitisme des mouvements progressistes, qui pousse à envisager une telle issue pour ceux qui se refusent à l’alyah. Dès lors que la haine du peuple juif relève de la liberté d’opinion et qu’elle réactivée par l’actualité, le génocide des Palestiniens se substituant au déicide, rechercher une terre plus hospitalière est de première urgence. Quand la liberté devient folle, sa limitation peut apparaître comme une mesure protectrice. Nul individu ne renonce à des droits de gaité de cœur mais si c’est le prix à payer pour que sa sécurité quotidienne soit préservée, alors pourquoi pas ? De plus, la dimension collective se trouve au cœur du judaïsme. Un équilibre est indispensable entre le groupe et l’individu. A cet égard, l’adaptation à un pays de tradition confucéenne devrait être aisée.
La plus ancienne communauté juive dont la présence est documentée atteste de cette compatibilité. Suivant la route de la soie, des Juifs se seraient installés à Kaifeng, capitale de la dynastie Song, au neuvième siècle. Coupés de leurs coreligionnaires, ils ont développé un judaïsme mâtiné de confucianisme qui leur a permis de vivre en harmonie avec la population locale, par contraste avec les missionnaires chrétiens dont le prosélytisme a toujours suscité des tensions. Pour se perpétuer, les Juifs de Kaifeng autorisaient les mariages entre hommes juifs et femmes chinoises, pas l’inverse d’ailleurs. D’où le métissage qui a été constaté. A la mort du dernier rabbin, la communauté s’est disloquée bien que quelques centaines de Juifs en descendent encore aujourd’hui. Les Juifs d’Harbin en Mandchourie méritent également d’être mentionnés. Fuyant les persécutions en Russie, ils sont arrivés en Chine au début du vingtième siècle et ont contribué au décollage économique de la région. L’invasion des Japonais, beaucoup moins philosémites, a mis un terme à cette courte lune de miel. L’affaire Simon Kaspé, jeune Juif kidnappé et exécuté après avoir été torturé, a marqué pour eux le signal du départ.
De pays à pays, Israël et la République populaire de Chine, la situation est plus complexe. Les deux Etats sont nés à un an d’intervalle – 1948 pour Israël et 1949 pour le régime communiste chinois – mais dans des circonstances totalement différentes. Pour Israël, il s’agissait du retour d’un peuple sur sa terre ancestrale tandis que, pour la Chine, le contexte était celui d’une guerre civile sur fond de décolonisation. David Ben Gourion désirait que l’Etat juif reste neutre dans les guerre entre l’Est et l’Ouest mais cette position n’était hélas pas tenable à long terme : la géopolitique n’a que faire des exceptions. C’est pourquoi, bien qu’Israël ait été l’un des premiers pays à reconnaître la Chine communiste, cela ne lui a pas octroyé de statut spécial chez les dirigeants chinois, alliés de l’URSS et de nombre de pays issus de la décolonisation, parmi lesquels la majorité des pays arabes. L’Etat hébreu n’a eu d’autre choix que de rejoindre le giron occidental. Il a fallu attendre 1992 pour qu’Israël et la Chine établissent enfin des relations diplomatiques. Depuis, les échanges économiques ont explosé entre les deux pays. Le high tech est loin d’être le seul secteur israélien attractif pour la Chine. Pourtant, une distance demeure.
Les Chinois sont extrêmement pragmatiques. Face au monde arabo-musulman et ses hydrocarbures, Israël est un nain et la découverte de quelques champs de gaz offshore ne change pas grande chose à la donne. En outre, l’Etat juif bénéficie du soutien du grand rival de la Chine, les Etats-Unis. Ce qui l’oblige. Une vente de matériel militaire israélien incorporant une technologie jugée sensible a ainsi été bloquée il y a quelques années par le gouvernement américain au grand dam des Chinois. Pour ces derniers, Israël s’alignera toujours sur son imposant allié. Ces deux éléments sont cependant susceptibles de remise en cause. Les conflits entre musulmans ont rapproché Israël des pays sunnites modérés. Et si, dans la corbeille de mariage, outre Israël, la Chine récupérait les pays signataires des accords d’Abraham ? L’ensemble aurait de l’allure. De surcroît, la proximité entre Israël et les Etats-Unis, voire avec l’Occident, n’a plus vraiment lieu d’être. La Présidence actuelle est, si l’on peut dire, en Trump l’oeil. De la même manière que les Européens, se sentant lâchés par les Américains, ont dû réfléchir à d’autres solutions, les Israéliens seraient avisés de chercher à s’adosser à une hyperpuissance moins déclinante et surtout moins versatile.
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