DEMANDEZ LE POGROM !
- Philippe Broda
- 30 nov. 2024
- 4 min de lecture
A la mémoire de Marc B
La récente chasse aux Juifs dans les rues d’Amsterdam a nécessité une mise au point de la maire de la ville. Il était essentiel que le blâme ne retombe pas sur ses administrés, et surtout pas sur ceux qui étaient à l’origine des troubles. Elle a tranché dans le vif, pour ne pas dire dans le Juif, en décrétant que ce n’était pas un « pogrom ». Un peu d’histoire.
Le mot « pogrom » vient du russe, « po » exprimant la totalité et « gromit » détruire. Il est apparu dans le langage courant dans les années 1880 avec l’explosion de violences antisémites qui a suivi l’assassinat du Tsar Alexandre II. Des pillages et des massacres, au moins tolérés par les autorités, ont frappé les communautés juives du pays. La première vague d’immigration vers la terre d’Israël est d’ailleurs rattachée habituellement à ces événements. Par extension, toute agression d’une foule déchaînée contre une minorité est susceptible d’être désignée par ce terme. En tout cas, une image d’Epinal du pogrom s’est construite : les responsables politiques détournent l’attention de la population mécontente de ses conditions de vie en lui offrant un exutoire, se défouler contre les Juifs. Dans ce tableau, les responsables politiques sont forcément d’extrême-droite, fascisants sur les bords, puisque jamais un pouvoir de gauche ne malmènera le peuple. La populace qui participe est primitive, irrécupérable. Ses bataillons voteront Le Pen un jour. Les bonnes gens qui lisent les écrits de Marx, elles, se tiennent à l’écart. Les masses juives prient tranquillement chez elles. Elles débordent d’amour envers leur voisinage.
Seulement, cette description pastorale ne correspond pas à la réalité. Que les Juifs servent de bouc-émissaire est une chose mais pourquoi les attaquer à un moment précis plutôt qu’à un autre ? En fait, un déclencheur est toujours nécessaire. Pour l’assassinat du Tsar, le groupe des conspirateurs comptait au moins une Juive – il y a un doute pour l’un de ses acolytes. Il fallait donc venger sa mort. Chacun des pogroms qui a jalonné la présence juive en Europe ou en terre d’Islam a été précédé par un incident impliquant un ou des Juifs, que ce soit un désaccord commercial, un vol, un échange d’insultes à caractère religieux, etc. Et il n’y a aucune raison de supposer que, en toutes circonstances, le Juif était dans son bon droit et le non Juif avait tort. Dans un contexte religieux où le peuple juif était maltraité, il est arrivé qu’un Juif crache sur le sol en passant devant une Eglise. Les chrétiens ne se contentaient pas alors de s’en prendre à lui mais ils déferlaient sur le quartier juif pour punir son groupe. C’est cette logique d’essentialisation qui définit le pogrom. En ce sens, l’imbécillité de la maire d’Amsterdam prend toute sa signification. Une virginité immaculée n’est pas un prérequis à l’emploi du mot.
La thèse de la maire rejetant la notion de pogrom parce qu’il y avait eu des provocations juives est d’autant plus indéfendable que la traque avait été planifiée en amont. La complicité de portiers de casinos, de salariés d’hôtels et de chauffeurs de taxis avait permis la préparation du traquenard. Quant à la police, pourtant avertie de ce qui se tramait, elle a été au minimum passive et incompétente, se montrant même incapable de savoir qui était dangereux entre une bande de voyous et un grand-père accompagné de ses jeunes petits-enfants. Parmi les justifications des actes antisémites, il s’agit en plus de faire le tri. Contrairement à ce qui a été affirmé, les supporters du Maccabi n’ont pas mauvaise réputation. Ils ne sont en rien comparables à ceux du Betar, orientés à droite. Maccabi représente la bourgeoisie urbaine. En revanche, comme tout club de football, Maccabi Tel Aviv a ses ultras, lesquels sont susceptibles d’attitudes déplorables, notamment retirer un drapeau palestinien d’une fenêtre ou chanter en hébreu des chansons en soutien à la guerre – qui, à Amsterdam, n’est pas locuteur de cette langue ? Ces ultras n’ont pas été ciblés mais tous les supporters, et surtout les familles ou les isolés.
Là où la maire, la police et les médias deviennent intéressants, c’est quand ils choisissent de diffuser en boucle ces images. Leur argument est connu. Ils prétendent donner une vision équilibrée de la situation. Or, ce n’est pas du tout le cas parce que, malgré ces quelques dérapages, tout se passait bien dans les heures précédant le match. Tout d’abord, les Israéliens et les Juifs en général aiment Amsterdam qu’ils associent, qu’ils associaient, à l’idée de tolérance. En outre, les fans de l’Ajax ont cette particularité qu’ils brandissent des drapeaux d’Israël pendant les matchs de leur équipe. Au début du vingtième siècle, comme le propriétaire du club était juif, les supporters adverses hurlaient des slogans antisémites. En réaction, ceux de l’Ajax ont décidé de revendiquer avec ostentation cette dimension juive, y compris après le changement de propriétaire. En conséquence, les scènes de fraternisation entre supporters des deux clubs étaient inévitables. Cela aux antipodes de la version des autorités néerlandaises. En 2004, dans la même ville, le meurtre de Théo van Gogh par un islamiste avait donné lieu à des violences islamophobes. Le mot pogrom avait été prononcé. Autres temps, autres mœurs… ou autre minorité ?
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