ET MALGRE TOUT
- Philippe Broda
- 26 mai 2024
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 9 juin 2024
Depuis plusieurs mois, les Juifs du monde entier se réveillent de la même manière. D’abord, prise de conscience que le 7 octobre n’était pas un cauchemar puis sortie du lit avec un sentiment de lourdeur, comme si le monde s’abattait sur leurs épaules. D’ailleurs, ce n’est pas une sensation trompeuse, le monde entier s’abat sur leurs épaules. Et si, pourtant, il n’y avait pas matière à relever la tête ?
Il n’est pas question d’adopter ici la méthode Coué et de prétendre que tout va pour le mieux. Nul ne sait quand la guerre se terminera, ni où le déchaînement de haine antisémite nous conduira. Malgré cette angoisse de fond, il y a matière à se consoler et à conserver l’espoir. Revenons au début. Comme en 1973, Israël a été surpris par une attaque. La différence est que, à cette époque, il y avait des structures étatiques très présentes dans la vie des citoyens et des élites, proches du mouvement des kibboutz, qui avaient bâti le pays. Dans ces conditions, il n’est pas surprenant que le pays ait pu redresser la situation une fois le choc initial encaissé. Cette fois, l’ennemi faisait face à un Etat en carton-pâte, fruit d’un libéralisme économique effréné – c’est d’ailleurs le point commun entre Benjamin Netanyahu et les nouvelles élites, les gens de la high tech (leur opposition portant sur les questions de société : conservatisme contre libéralisme). Comment réagirait le pays avec des institutions étatiques défaillantes, y compris l’armée et une société divisée en deux camps apparemment irréconciliables, des élites libérales, individualistes au point d’en oublier le sens du collectif, et des adversaires plus traditionnalistes et solidaires, mais pas toujours ouverts d’esprit ? Rien n’était écrit d’avance.
Le passage de la Mer Rouge est associé au nom de Moïse. Cependant, le Midrash raconte qu’il a fallu qu’un certain Nahchon fils d’Aminadav prenne l’initiative de s’enfoncer dans les flots pour qu’elle s’ouvre devant les Hébreux. Avec le 7 octobre, c’est tout un peuple qui s’est jeté à l’eau. Dès les premiers instants, les actes d’héroïsme se sont multipliés. Après avoir ordonné à sa femme, ses filles et son petit-fils de se cacher dans l’espace sécurisé, Shlomo Ron s’est installé dans le salon de sa maison du kibboutz Nahal Oz. Les terroristes l’ont tué depuis l’extérieur sans pénétrer à l’intérieur de son domicile. Les commandants de la base de Zikim ont ordonné à leurs dizaines de nouvelles recrues de se mettre à l’abri avant d’essayer de stopper l’assaut. Six d’entre eux sont morts. Parmi eux, la lieutenante Adar Bensimon s’est battue littéralement jusqu’à sa dernière balle. Les frères Kalmanson, Elhanan et Menahem, rejoints ensuite par leur neveu Itiel, ont foncé spontanément vers le Sud pour porter secours à ses habitants. Moti Shamir a eu le même réflexe, les frères Noam et Yishay Slotki également. Ce sont les noms les plus connus. Toutefois, ils furent des dizaines et beaucoup y laissèrent la vie.
Lorsque l’armée a appelé ses réservistes pour entrer à Gaza, le taux de mobilisation a dépassé 100 % puisque des citoyens israéliens domiciliés à l’étranger sont spécialement revenus au pays pour se battre. Par comparaison, l’Ukraine peine à recruter des soldats dans sa guerre contre la Russie. Ses citoyens ne sont à l’évidence pas prêts à payer le prix. Doit-on y voir, à la manière de Romain Gary, une distinction entre des patriotes, des individus qui aiment leur peuple, et des nationalistes, des individus qui n’aiment pas les autres ? Bref, les Israéliens se sont présentés sous les drapeaux et n’en déplaise aux instances de soi-disant justice internationale, mènent une guerre propre, en tout cas autant qu’elle peut l’être dans une zone urbaine d’une densité record. Bien sûr, les victimes civiles sont toujours regrettables et elles ne manquent pas mais, selon les plus grands experts des opérations militaires, même avec les chiffres exagérés du Hamas, le ratio entre combattants et civils atteste des précautions prises par Israël sur le sujet. Comment ne pas évoquer l’éloge de ses troupes prononcé par Tomer Grinberg, officier dans la brigade Golani, avant de tomber au combat : « Vous n’êtes manifestement pas si gâtés que ça, vous n’êtes manifestement pas moins des héros [que vos devanciers], vous n’êtes manifestement pas la génération des iPhone. Alors bravo à tous ! Je suis fier de chacun d’entre vous ».
Il était indispensable que la société civile se mette au diapason pour pallier les carences de l’Etat. Elle l’a fait et continue de le faire. Pour que les combattants puissent être équipés décemment, ce sont des fonds privés qui ont acheté le matériel moderne manquant (gilets par balles, casques, lampes, genouillères…) à l’exception des armes tout de même. Les Juifs du monde entier ont contribué financièrement au soutien du pays. Evidemment, par rapport aux moyens du Qatar, ce n’était pas le Pérou, mais cette aide a été malgré tout fort utile. Pour trouver des solutions aux problèmes les plus immédiats, et ils étaient nombreux, d’autres types d’action étaient requis. Il était urgent d’aider les réfugiés de la frontière Nord ainsi que ceux du Sud, d’empêcher que les commerces des réservistes ne s’effondrent, d’offrir des bras aux exploitations agricoles à la suite du départ des travailleurs thaïlandais. Des bénévoles de tous les horizons ont offert leur bras : des scolaires et des retraités, des salariés en congés, des Juifs venus de la Diaspora et même des non Juifs. Ce n’est que le début. Le peuple d’Israël vit et vivra : Am Israël haï !
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