FAUT-IL QUE BAR SE BARRE ?
- Philippe Broda
- 22 mars
- 4 min de lecture
A la critique selon laquelle les Etats-Unis soutenaient un dictateur au Nicaragua, le Président Franklin D. Roosevelt aurait rétorqué : « c’est peut-être un salopard mais c’est notre salopard ». La polémique autour du limogeage de Ronen Bar, directeur du service du renseignement intérieur en Israël laisse pantois. Les positions des deux camps sont d’une imbécillité sans nom. Oui mais ce sont « nos » imbéciles.
Le principal responsable du cirque actuel est Benjamin Netanyahou. En tant que Premier ministre, c’est le maître des horloges. Son choix de se séparer de Bar interroge à plusieurs titres. Tout d’abord, en déclarant qu’il envisageait de passer outre les réserves de la Cour Suprême, il a montré qu’il n’a rien retenu du blocage de la réforme judiciaire. Le passage en force ne marche pas. Jouer avec la légalité est contreproductif et attise les tensions à l’intérieur de la société. La différence est qu’il sème la discorde en pleine guerre cette fois puisqu’il a ordonné lui-même la reprise des opérations militaires à Gaza. Ensuite, à la façon de Donald Trump, il semble ne pas supporter la moindre expression de désaccord. Dès qu’un Ministre ou un fonctionnaire ne s’aligne pas sur ses vues, il est invité à prendre la porte. C’est ainsi que Yoav Gallant, Ministre de la défense, a été remercié il y a quelques mois. L’efficacité du processus décisionnel est en danger dès lors que plus personne n’ose présenter d’objections au chef de peur de se faire congédier. Enfin, en agissant de la sorte, Bibi jette dans la rue des Israéliens qui réclament avec force que soit maintenu en fonction un des principaux responsables du drame du 7 octobre.
Ronen Bar ne conteste aucunement sa part dans l’attaque surprise du Hamas – elle n’est pas mince – et il a assez rapidement déclaré qu’il assumerait ses responsabilités, c’est-à-dire qu’il démissionnerait quand tout serait rentré dans l’ordre. Il a récemment sous-entendu qu’il songeait par là au retour des otages. Paradoxalement, la reprise des combats lui donne un prétexte supplémentaire pour rester en poste. Si Bibi reproche continuellement à Bar de ne pas l’avoir réveillé le 7 octobre, il ne peut invoquer ce jour funeste dans sa décision de limogeage, puisqu’il lui serait aussitôt demandé de rendre également des comptes sur ces événements. Peut-être Bar a-t-il failli en termes de renseignement mais Bibi n’est-il pas le fameux stratège qui a autorisé le Qatar à financer le Hamas prétendument dissuadé ? Il faudrait une commission d’enquête pour démêler l’écheveau et c’est précisément ce à quoi s’oppose le Premier ministre. C’est pourquoi Bibi ne s’aventure pas sur ce terrain miné. Il prétend plutôt qu’il manque de confiance en son subordonné, qu’il doute de sa loyauté, bref que les deux hommes ne peuvent plus travailler en bonne intelligence.
Le moment du limogeage n’est pas triste non plus. Dans les jours qui ont précédé, le prédécesseur de Ronen Bar, Nadav Argaman, avait déclaré qu’il était prêt à s’affranchir des règles du secret qui s’imposent toujours à lui si cela pouvait contribuer à éjecter Bibi du pouvoir. Il y a en effet en Israël des opposants qui risqueraient la survie du pays pour simplement pouvoir changer de Premier ministre. En fait, ils ne respectent pas plus les institutions que leur ennemi juré. Ronen Bar est alors monté immédiatement au créneau pour tancer vertement Argaman. Le renseignement intérieur ne doit pas être un instrument politique, a-t-il asséné. Est-il possible d’offrir une plus belle preuve de loyauté ? Ajoutons que le rôle attribué par le gouvernement à Ronen Bar dans les négociations avec les intermédiaires qataris et égyptiens pour parvenir à une solution avec le Hamas n’est pas anodin. Bien que Gal Hirsch ait été désigné pour gérer la question des otages, il a été court-circuité par un tandem constitué justement de Bar et du directeur du Mossad, Dadi Barnea. Comment expliquer qu’une telle mission ait été assignée à une personne à laquelle on n’accorde aucune confiance ?
Dans le camp d’en face, il n’y a pas que le cas Argaman. Nombre de manifestants n’hésitent pas à comparer Netanyahou à Hitler, pas pour un prétendu génocide à Gaza comme le beuglent les gauchistes, mais parce qu’il joue avec les règles de l’état de droit. Après tout, on a les adversaires que l’on mérite… Venu manifester contre le limogeage de Ronen Bar, l’opposant Benny Gantz a été pris à partie par un groupe de radicaux. L’ancien chef d’état-major a été qualifié de « traitre » parce qu’il avait eu le malheur de tenter de préserver l’unité nationale le plus longtemps possible avant de finalement quitter le gouvernement Netanyahou. Il a même été molesté. Le plus dingue est que Yair Golan, chef du parti des Démocrates - cela ne s’invente pas - a apporté son soutien aux excités. Que la société civile se mobilise contre la démesure, l’hybris, dont la droite israélienne est capable est tout à son honneur. Elle ne doit pas oublier qu’elle ne doit pas profiter de l’occasion pour renverser le gouvernement de manière non démocratique. Il y a deux partis qui représentent chacun approximativement la moitié de la population. Ils doivent apprendre à cohabiter. Et à arrêter d’être crétins…
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