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« HAINE DE SOI » ?

  • Photo du rédacteur: Philippe Broda
    Philippe Broda
  • 2 juin 2024
  • 4 min de lecture

En ces temps où ils sont attaqués de toute part, les Juifs sont extrêmement sensibles aux coups qui leur sont portés depuis leur propre camp, c’est-à-dire ceux qui leur sont assénés par d’autres Juifs. Ils sont perçus comme un coup de poignard dans le dos. Il s’agit pourtant d’un phénomène très ancien.   


Dans un célèbre ouvrage sur ce qu’il définissait comme une « haine de soi », Theodor Lessing expliquait qu’il n’y avait pas besoin d’être chrétien ou musulman pour être convaincu que les Juifs n’étaient pas de bonnes personnes et qu’ils méritaient de souffrir. Il suffit de se plonger dans leurs textes sacrés, lesquels avertissent que le peuple d’Israël sera l’objet de terribles châtiments s’il s’écarte du droit chemin. La liste des menaces, reconnaissons que Dieu n’y allait pas avec le dos de la cuiller, ainsi que leur fréquence, n’indiquait-elles pas implicitement que les Juifs étaient des gens problématiques ? Les tourments qu’ils ont endurés au fil des siècles ont forcément été interprétés à l’aune de ces mises en demeure récurrentes – leurs agresseurs étant considérés en fait comme des instruments de la justice divine. Soit Dieu, le Dieu unique de l’univers, leur Dieu, avait sanctionnés les Juifs en raison de leur mauvaise nature ; soit, ayant perdu l’espoir d’une amélioration, il les avait même carrément abandonnés. Avant de regretter de s’être éloigné de la foi de ses ancêtres, l’auteur allemand Heinrich Heine avait proclamé que le judaïsme n’était pas une religion mais une malédiction. Cette toile de fond a nécessairement pesé sur les choix individuels des Juifs tout au long de l’Histoire.     


Au Moyen Age, les Juifs ont été soumis à intervalle régulier à des persécutions dont l’objectif était de les pousser à la conversion. Dans le monde ashkénaze, lors des Croisades notamment, les communautés juives eurent tendance à préférer la mort pour sanctifier le nom divin. Chez les sépharades, sur les conseils de Moïse Maïmonide, le Rambam, une autre stratégie était recommandée : se convertir pour sauver sa vie puis migrer sous des cieux plus cléments afin de revenir au judaïsme. Dans ce contexte d’intenses pressions, il y eut des Juifs qui décidèrent de quitter leur peuple et changer de religion. Pour bien faire, il était important de bien claquer la porte en partant. Cela coupait court à la suspicion de conversion de confort. Ils devaient montrer qu’ils se convertissaient parce que le christianisme était la religion authentique. Ainsi, Abner de Burgos, devenu Alfonso de Valladolid, et Josué ben Joseph ha Lorki baptisé Jérôme de Santa Fe, ont-ils commis des pamphlets antijudaïques comme gages de bonne foi. Pour sa tendance à être plus papiste que le pape, on a même cru que Tomas de Torquemada, le Grand inquisiteur, était d’origine juive. Ce n’était toutefois pas le cas.


A l’ère moderne, les Juifs ont été admis comme citoyens de plein droit dans des sociétés où la place de la religion s’est estompée progressivement. Se démarquer de ses origines a cessé d’être d’abord un acte de défense. L’engagement dans la vie de la cité est devenu la principale motivation de la prise de distance avec sa judéité. Tous ces nouveaux « ismes »  si attractifs avaient cependant intégré chacun à sa manière les préjugés antisémites de 2000 ans d’histoire. Pour un fasciste, le Juif était un cosmopolite qui ne pouvait être greffé au corps de la nation. Pour un communiste, le Juif était au contraire réfractaire à l’universalisme, sans compter qu’il incarnait le grand capital. La meilleure façon de se faire accepter par sa nouvelle famille n’avait pas changé. Il était indispensable de s’approprier ses préjugés à elle sur les Juifs, voire d’en remettre une couche pour que, au-delà du moindre doute, il soit clair que l’on a sincèrement changé de camp. Parfois, la mission était impossible. Otto Weininger est le seul Juif qui trouva grâce aux yeux d’Hitler. Penseur d’un antisémitisme délirant et ne pouvant échapper à son identité, il s’est suicidé. La question des préjugés est cruciale parce que les Juifs entendent ceux qui courent sur eux et, même quand ils argumentent contre, ils n’y sont pas entièrement imperméables.


Pour prendre une autre thématique, il existe un risque réel d’être victime d’une bavure policière quand on est un Noir aux Etats-Unis. Mettre la main dans sa poche peut générer de la peur chez un policier qui tirera plus volontiers que si un Blanc faisait le même geste… mais une partie des policiers qui tirent sont eux-mêmes des Noirs. En somme, ils ont fini par s’imprégner des stéréotypes en vogue sur les Noirs. Un Juif qui se déclare citoyen du monde sait au fond de lui qu’il sera toujours sur la sellette. Au moindre écart, on lui balancera que, même sans redingote noire, il reste étroit d’esprit, centré sur les siens, incapable d’objectivité. Avec la guerre actuelle, le test est simple : « Dis, ami, la mort d’un enfant palestinien est-elle aussi tragique que la mort d’un enfant israélien ?

- Oui, bien sûr.

-  Nous sommes donc d’accord : l’armée israélienne est aussi condamnable que le Hamas ».


Contredire un tel raisonnement est aisé. Il suffit d’invoquer l’intentionnalité. Les combattants du Hamas visent délibérément les enfants juifs tandis que les soldats israéliens tuent accidentellement les enfants palestiniens dans leur guerre contre le Hamas. Nous sommes ici sur le plan du droit et de la morale. Mais voilà, notre Juif poseur est tétanisé par le jugement des prétendus universalistes. Etre renvoyé à une sorte de ghetto n’est pas une option pour lui. Alors, si c’est le prix à payer pour garder sa posture, ses amis, ses séries Netflix et son tofu, dans une totale compromission, il relaiera les pires infamies : « Moi, je ne suis pas borné. Je suis capable de m’élever au-dessus de ma condition de Juif, pensera-t-il, fier de lui-même ». Shalom haver…     

 
 
 

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