HARRIS OU TRUMP ?
- Philippe Broda
- 2 nov. 2024
- 4 min de lecture
Combinée à l’embrasement antisioniste des campus étatsuniens, les propos parfois acerbes de l’administration Biden envers Israël ont touché le peuple juif de façon très directe – rappelons que plus de 80 % des Juifs résident soit en Israël, soit aux Etats-Unis. L’histoire d’amour entre la Maison Blanche et les Juifs américains a-t-elle plus de chance de repartir avec Kamala Harris ou avec Donald Trump ? Une histoire d’amour ?
Les Juifs des Etats-Unis ont toujours témoigné d’un attachement quasiment sans limite envers leur pays qui a été pour eux une véritable terre d’asile. Les difficultés que les Juifs rencontraient en Europe au dix-neuvième siècle ont déclenché un mouvement d’immigration, lequel a connu une spectaculaire accélération avec la vague de pogroms ayant suivi l’assassinat du Tsar Alexandre II en 1881. Selon leur narratif, ils sont arrivés en bateau pauvres, sales, dépenaillés. Ils ont emprunté des noms américains dès leur arrivée à Ellis Island où ils accomplissaient leurs formalités d’immigration. Puis ils se sont retroussé les manches et, au pays de l’égalité des chances, ils sont parvenus à s’élever socialement. Cerise sur le gâteau, nul n’a exigé qu’ils renoncent à leur particularisme. Dans un système fondé sur la cohabitation de communautés animées simplement par des idéaux identiques, à l’instar des immigrants italiens, irlandais ou chinois, les Juifs ont pu vivre au grand jour leur culture, leurs traditions et même leur lien à Israël – tout cela sans crainte, ni scandale. La cérémonie de l’allumage des bougies de Hanoukkah à la Maison Blanche illustre parfaitement cette belle intégration.
En vérité, tout n’a pas été aussi rose pour les Juifs américains. Ils ont reconstruit après coup un récit idyllique qui est une distorsion de la réalité. Kirsten Fermaglish a montré que, si nombre de Juifs ont américanisé leur nom, ils ne l’ont pas fait à Ellis Island mais beaucoup plus tard, et souvent parce qu’un nom trop juif était un obstacle majeur dans une quête d’emploi. Dans le même ordre d’idées, les activités économiques méprisées et considérées sans avenir étaient laissées à des immigrants juifs. C’est d’ailleurs de cette façon que le cinéma américain s’est offert à eux. Au-delà de l’antisémitisme à bas bruit de la culture protestante anglo-saxonne, des figures populaires ont incarné la détestation des Juifs dans les années 1930, en particulier le père Charles Coughlin aux prêches incendiaires et le charismatique Gouverneur démocrate de la Louisiane, Huey Pierce Long, père spirituel de Jean-Luc Mélenchon. Le refus de l’administration Roosevelt d’accepter des réfugiés juifs pendant la Deuxième Guerre mondiale s’inscrivait dans l’intention de ne pas heurter l’opinion publique. N’évoquons pas l’après-guerre où les Etats-Unis furent bien moins accueillants envers les Juifs qu’envers leurs tortionnaires. L’Age d’or qui a suivi a tout effacé. La situation actuelle nous y ramène.
Pour ce qui est des Juifs d’Israël, leur admiration envers le modèle étatsunien, hyper puissance politique et économique, n’a jamais faibli. C’est pourquoi, quand le gouvernement des Etats-Unis commença à estimer que l’Etat hébreu pouvait lui être un allié utile au Proche-Orient, toute la nation israélienne en ressentit de la fierté. Elle se paya de mots : « nous sommes en fait des amis. Les Américains nous soutiennent » sans comprendre que les Etats-Unis voyaient en Israël une puissance régionale, un îlot de démocratie avec une armée robuste. Il faut dire que, quand un groupe d’écoliers menace de vous casser la gueule, se balader bras dessus bras dessous avec le balaise de la cour de récré a quelque chose d’aussi rassurant que grisant. On en oublie qu’il raffole surtout du goûter préparé par votre maman. Or, les Etats n’ont pas des amis, juste des intérêts, et les hommes politiques, des échéances électorales. Ainsi, l’aide financière américaine permet à Israël de faire tourner le complexe militaro-industriel américain. Dans les années 1980, quand Israël a envisagé d’en utiliser une partie pour développer son propre avion, le Lavi, les Ricains ont vigoureusement opposé leur véto.
En 1981, lors de la signature du traité de coopération stratégique entre les deux pays, les Israéliens les plus lucides s’interrogeaient. Ne comprend-il pas une clause secrète stipulant qu’Israël devrait envoyer des forces en cas de coup d’Etat en Arabie Saoudite ? Il ne s’agit pas de cracher sur le soutien américain, juste d’avoir à l’esprit qu’il est avant tout intéressé. Et il se trouve que, pour les Etats-Unis, quand l’Etat juif se défend énergiquement, la stabilité régionale est menacée. De ce fait, leur priorité a toujours été de limiter la réaction des Israéliens aux agressions qu’ils subissaient. Après le 7 octobre, les manifestations de solidarité, même Joe Biden a fait le déplacement, visaient pareillement à retarder, voire à empêcher, la riposte de Tsahal. Un étourdissant ballet diplomatique a été organisé par l’administration américaine à cet effet. Les bras de celui qu’on enlace sont immobilisés. A plusieurs reprises, les Américains ont recouru au bâton – suspension de livraisons d’armes – mais aussi à la carotte – livrer des informations « sensibles » à Israël. Autrement dit, ils ne le faisaient pas spontanément. C’est beau l’amitié ! Alors, Harris, plus raisonnable mais sensible aux arguments des anti-israéliens de son camp, ou bien Trump, extrémiste imprévisible mais artisan des accords d’Abraham ?
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