JERU QUOI ?
- Philippe Broda
- 22 sept. 2024
- 4 min de lecture
Quand un enfant refuse de partager un gâteau, sa justification est rarement : « désolé, je le garde pour moi car je suis égoïste ». Cela ne serait pas moralement acceptable. Son argument consiste plutôt à délégitimer la requête de l’importun. Il dit par exemple : « Tu en as eu un hier et tu ne m’as rien donné ». Eh bien, pour le partage de la Palestine, c’est pareil.
Si des pans entiers du monde arabe reconnaissent le droit à l’existence d’Israël et ne sont plus sur une ligne de récusation, les Palestiniens n’en démordent pas. Selon eux, les Juifs n’ont aucun rapport avec cette terre. Une partie d’entre eux désigne le Yémen comme le lieu où s’est exercée historiquement la souveraineté juive. Il est vrai que des Juifs se sont trouvés à la tête du royaume du Himyar jusqu’au sixième siècle où ils furent vaincus par des chrétiens dans un contexte de guerres de religions d’une terrible férocité. Comme si l’un empêchait l’autre. La dispersion des Juifs dans le monde est pourtant parfaitement documentée par ailleurs. D’autres Palestiniens soulignent que des tribus juives résidaient dans la région de Médine, les Banu Nadir, les Banu Qurayza et les Banu Qaynuqa. Selon la tradition musulmane, elles furent massacrées ou converties de force pour ne pas avoir adhéré au message de Mahomet. Dans ce cas également, il n’y a pas de contradiction. Il semblerait que la présence juive dans la région remonte à l’exil consécutif à la défaite de 70 contre les Romains en Judée.
L’attachement du peuple juif à Jérusalem est un des points où le négationnisme palestinien s’exerce avec le plus de virulence. Les prières des Juifs se référant à la ville sainte et au Temple, aussi anciennes soient-elles, sont supposées relever de la falsification. Les plus jolis textes de la poésie juive ne parviennent pas davantage à convaincre les infatigables sceptiques. L’humour israélien qui tourne en dérision cet amour inconditionnel – « et seule Jérusalem possède 02 comme indicatif téléphonique » loue le refrain d’une chanson – ne fait pas mieux. Les méchants sont souvent mal à l’aise dans l’univers du comique. Les auteurs romains qui décrivent la vie juive en Judée – malgré son nom, Tacite compte parmi les plus éloquents – auront probablement été corrompus. Quant aux preuves archéologiques, elles ne valent pas grand-chose même si le Waqf de Jérusalem, en charge des lieux saints musulmans, œuvre à la destruction des traces de vie juive dans l’antiquité. On n’est jamais assez prudent. Pour avoir courageusement reconnu le lien des Juifs avec le mont du Temple, l’intellectuel palestinien Sari Nusseibeh a été considéré par les siens comme un traître à la cause, un collabo.
Cet entêtement est d’autant plus ridicule que les sources musulmanes qui décrivent la conquête arabe de Jérusalem en 637 sont sans ambiguité sur le sujet. Elles précisent ainsi que le calife Omar autorisa le retour des Juifs, qui en avaient été bannis par les Byzantins et qu’il exigea le nettoyage du mont du Temple – les souverains chrétiens l’ayant délibérément souillé. Conformément à des coutumes immémoriales, les vainqueurs décidèrent d’ériger une mosquée à l’emplacement du plus célèbre lieu de culte de la ville. Ce fut même un Juif converti à l’islam qui montra à quel endroit il fallait construire la mosquée. Face à ces incohérences, certains se sont lancés dans des contorsions, distinguant les juifs des Soubbotniks. La minuscule à « juifs » s’explique parce qu’il existe une religion juive mais pas de peuple juif. En d’autres termes, les juifs sont respectables et, s’ils étaient assez dociles pour accepter le statut de « dhimmi », ils seraient les bienvenus en Palestine. En revanche, les Soubbotniks, groupe de chrétiens convertis qui constituent une forme dégénérée du judaïsme, sont des êtres nuisibles avec des prétentions nationalistes. Le sionisme doit leur être imputé. Le diabolique Ariel Sharon compte parmi les Soubbotniks.
Toujours dans les mauvais coups, l’extrême-gauche nourrit ce narratif affligeant. L’Israélien Shlomo Sand – les antisémites raffolent des théories véhiculées par des Israéliens ennemis d’Israël – prétend qu’il n’existe aucune relation entre ceux qui se prétendent juifs et l’Etat d’Israël. Pour cela, il n’hésite pas à asséner que le yiddish n’est pas un mélange d’allemand et d’hébreu mais une langue slave. Tahat n’aurait rien à voir avec Touhess. Il a osé… Un scientifique qui écrit que la terre est plate n’est pas pris au sérieux. Pourquoi Sand conserve-t-il une telle aura ? Du côté israélien, une minorité défend également des thèses farfelues visant à discréditer le droit à un Etat des Palestiniens. C’est vrai mais il s’agit d’une minorité. Pour illustration, Yaïr Netanyahu, un des fils de Bibi, a déclenché l’hilarité générale en assurant que le peuple palestinien n’existait pas parce qu’il n’existait pas de lettre « P » en arabe. Avec ses « nouveaux historiens », Israël a travaillé, parfois avec beaucoup de sévérité, sur son passé. Le problème se situe donc prioritairement en face. Des Nusseibeh, il en faudrait beaucoup plus qu’il n’y en a aujourd’hui pour arriver à la paix.
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