L'ARROSEUR ARROSE ?
- Philippe Broda
- 3 mai
- 4 min de lecture
L’assassinat d’Ytzhak Rabin le 4 novembre 1995 avait été précédé d’une longue campagne de calomnie. En tentant de parvenir à un compromis avec les Palestiniens, le Premier ministre israélien avait même été accusé de « trahison ». Dans ce contexte incandescent, il n’est pas surprenant qu’un citoyen se soit érigé en sauveur de la nation et ait mis un terme à la vie du désigné comme « traître ».
Parmi les chefs de l’opposition, Benjamin Netanyahou n’avait pas été le dernier à mettre de l’huile sur le feu. Il y a quelque ironie à voir ses adversaires politiques à utiliser le même type d’argument… contre lui. Avec le même risque de dérive. Les griefs légitimes contre Bibi ne manquent pourtant pas. Répétons pour la nième fois qu’il a été l’architecte de la fumeuse théorie de la dissuasion du Hamas. Il a encouragé le transfert de valises de billets qataris vers la bande de Gaza. Plus que tout autre, il a incarné la suffisance d’Israël avant le 7 octobre. Une commission d’enquête démontrera aisément sa responsabilité dans ce désastre. C’est pourquoi il se dresse avec autant de vigueur contre la mise en place d’une telle instance, cela malgré le large consensus qui s’est vite dessiné dans la population. Dans un pays où deux camps d’un poids électoral équivalent s’affrontent, tous ses détracteurs bien sûr mais largement plus de la moitié de la droite soutenait cette demande. Bibi a également fauté en refusant d’envisager le « jour d’après la guerre ». Tsahal, qui vient d’entrer pour la cinquième fois à Jabaliya, tourne en rond sans orientation claire. Les Gazaouis, même ennemis du Hamas, n’osent s’engager face à l’incertitude.
Ces éléments suffisent à disqualifier Bibi. Il a causé un tort immense au pays et continue de le faire. Pourquoi ne pas s’y tenir plutôt que d’inventer des fadaises et tenter des manœuvres qui flirtent avec la sécurité de l’Etat ? Hélas, ce n’est pas la voie que privilégient ses opposants les plus féroces. De nouvelles accusations surgissent tous les jours. Parmi les plus folles – il faut monter crescendo, sinon cela n’attirera pas le chaland – il y a le « Qatar Gate ». Des membres de l’entourage de Bibi auraient entretenu des relations avec des Qataris. A partir de là, la mécanique conspirationniste s’est enclenchée. Ces proches auraient profité de l’argent qatari… et certainement lui aussi. En d’autres termes, Bibi n’a pas péché par mauvais choix stratégique mais parce qu’il a été corrompu. C’est un « traître ». De ce fait, des transgressions deviennent acceptables. L’armée a ainsi cessé d’être un sanctuaire non politisé pour se muer en une instance qui doit faire pencher la balance politiquement. C’est l’avis de quelques unités d’élite en tout cas. La « trahison » de Bibi justifie même a posteriori les menaces de pilotes réservistes de ne plus se présenter sous les drapeaux à l’époque de la réforme judiciaire. La question d’un possible lien entre leur effet et l’incroyable lenteur de la réaction de l’armée de l’air le 7 octobre est lancinante.
Entre gens de bonne compagnie, il est essentiel de participer à cette campagne. Presque aussi choquante que celle de « traître », l’accusation selon laquelle « Bibi veut la mort des otages » prospère dans ces milieux hyper politisés avec sa variante « Si les otages avaient été des religieux, Bibi aurait transigé avec le Hamas ». Ces militants qui se perçoivent comme des citoyens responsables restent dans un entre-soi, synonyme de surenchère. Personne ne les invite à revenir sur terre, à soumettre leurs propos à la critique, à nuancer. Par exemple, que signifie « Bibi a décidé de poursuivre la guerre pour défendre des intérêts personnels » ? Doit-on en déduire que son objectif est de maintenir l’armée à Gaza jusqu’aux prochaines élections, cela alors que le taux de mobilisation des réservistes diminue en raison d’une usure bien compréhensible ? Alternativement, serait-il déçu si une improbable opération militaire libérait tous les otages d’un coup tout en neutralisant définitivement le Hamas ? Ne peut-on juste lui reprocher un mauvais arbitrage coût avantage aujourd’hui entre les deux options qui s’offrent à Israël, guerre ou accord ? Cela sachant en plus que les soutiens à la guerre sont moins bruyants mais ne manquent pas.
Une chaîne de la télévision israélienne a diffusé un florilège d’expressions assénées par les dirigeants politiques, souvent des généraux à la retraite, et les anciens responsables sécuritaires qui mènent le mouvement anti-Bibi. Entre les invitations à se jeter du haut de l’immeuble et les blagues glauques sur son cancer de la prostate, cet enchaînement donne la nausée. D’où les questions du journaliste : l’état mental de ces gens était-il le même quand ils portaient l’uniforme ? Cette exaltation rend la critique raisonnée inaudible, voire mal reçue : « En nous demandant de baisser d’un ton, est-il sûr que vous souhaitez le départ de Bibi ? » Entre l’homme qui refuse de rendre des comptes sur le 7 octobre et le représentant d’un camp qui déclare que l’ennemi c’est Bibi, pas le Hamas, il n’est pas garanti que les électeurs hésitants voteront pour le second. Dans tout cela, le sort des otages devient secondaire. D’ailleurs, si on confrontait ces fanatiques aux choix faustien « le départ de Bibi contre la mort des vingt-cinq », beaucoup se mettraient d’un coup à parler d’omelettes et d’œufs à casser, avec le même ton grave que ceux qui sont prêts à les sacrifier pour vaincre le Hamas. Quant au consensus sur une commission d’enquête, il semble bien loin…
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