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MERDE

  • Photo du rédacteur: Philippe Broda
    Philippe Broda
  • 27 avr.
  • 4 min de lecture

En 1975, les Nations Unies assimilaient le sionisme à du racisme. Nul ne reprochera à cette organisation de manquer de constance. Dans une séquence culte d’une émission de Jacques Chancel, Herbert Pagani s’insurgeait contre cette iniquité. Cinquante ans plus tard, son « Plaidoyer pour ma terre » n’a pas pris une ride.



Cela commence avec deux passagères dans le métro qui s’en prennent aux Juifs : « Avec leurs histoires à l’O.N.U., quels emmerdeurs ! ». Herbert Pagani reprend le terme à compte : « C’est vrai. Nous sommes des emmerdeurs » avant de proposer une explication. L’artiste italien mentionne une galerie de célébrités d’origine juive qui ont éclairé l’humanité comme un clin d’œil à la blague : « Cinq Juifs ont façonné l’histoire du monde : Moïse qui a dit : ‘tout est loi’, Jésus qui a dit : ‘tout est amour’, Marx qui a dit : ‘tout est argent’, Freud qui a dit : ‘tout est sexe’ et Einstein qui a dit : ‘tout est relatif’ ». Leur manière de montrer la voie, de se situer à l’avant-garde intellectuelle de la société, s’explique par leur positionnement à la marge. Ces personnalités se sont en effet éloignées de la tradition juive sans avoir été acceptées par la culture des Gentils… si l’on peut dire. Leur pensée est plus libre. Or, les annonciateurs des bouleversements de l’ordre ancien sont mal perçus. Quand la population est convaincue qu’ils sont eux-mêmes engagés activement dans ces transformations – sur les questions économiques, banquiers ou révolutionnaires –, ils deviennent de sacrés emmerdeurs.

 

Pourtant, ce n’est pas en tant que dépositaires du sacré que les Juifs sont alors stigmatisés. Par contraste avec la critique chrétienne du Moyen Âge, soit leurs textes n’intéressent pas leurs adversaires, soit ils n’y ont rien trouvé de répréhensible. Il est moins compliqué de fantasmer sur des événements qui se déroulent en coulisses, de délirer sur des faux tels que le « Protocole des sages de Sion » ou bien, c’est à la mode, de leur imputer des crimes qu’ils n’ont pas commis dans leur Etat. Ce dénigrement n’a pas épargné non plus les valeurs spécifiquement portées par le judaïsme. C’est même le point de départ de la judéophobie. Les Juifs ont ainsi été considérés comme des emmerdeurs dès qu’ils ont refusé de sacrifier aux dieux de l’Empire. Il ne leur était pas demandé de renoncer à leur divinité, juste de montrer par cette concession qu’ils étaient concernés par le sort de l’Empire. Malgré tout, ces têtes dures ont toujours regimbé. Ce combat contre l’idolâtrie a pris d’autres formes – pas de prosternation devant un homme, y compris un Empereur, ni de vénération de l’argent, du travail… La dimension éthique ne doit jamais être oubliée. Autrement dit, la fin ne justifie pas les moyens.


Le judaïsme combine loi et récit, c’est-à-dire selon la formule de Marc-Alain Ouaknine le rite et le mythe, cela pour donner le rythme. Cette approche est déconcertante. L’« élection » d’Israël, ô combien mal comprise, ajoute à l’agacement des autres nations. D’après les sages, conscients que cette idée risquait de susciter une bonne dose de ressentiment, la Torah a été proposée à tous les peuples, lesquels l’ont dédaignée, avant d’être offerte aux Juifs qui, eux, l’ont adoptée. Etre « peuple élu » n’octroie aucun privilège mais uniquement des devoirs. Pour faire écho à cette vision, les Juifs ne se réclament pas d’une noble ascendance. Ils ne prétendent pas être sortis de la cuisse d’un quelconque Jupiter. Lors de la fête de Pessah, ils sont invités au contraire à se souvenir que leurs ancêtres furent des esclaves en Egypte. L’étymologie du mot hébreu paraît corroborer ce narratif. Pour nombre de spécialistes de l’Antiquité, les Hébreux descendraient des Habiru ou Apiru, termes qui désignaient des groupes de déclassés errants assez méprisés dans la région. Moins élogieux encore, l’historien égyptien Manéthon avait affirmé qu’un prêtre d’Héliopolis, assimilé à Moïse, avait fui un jour son pays, accompagné de lépreux.


En se qualifiant eux-mêmes d’Hébreux, les Juifs ont probablement décidé de s’approprier cette dimension négative, d’assumer ce dégoût qu’ils provoquaient. C’est exactement ce que fait Herbert Pagani quand il dit : « C’est vrai. Nous sommes des emmerdeurs ». Derrière l’attitude transgressive, il faut savoir néanmoins que le coût à payer est élevé. Ne pas sacrifier aux dieux de l’Empire signifiait que les règles de la convivialité ne primaient pas sur le respect de valeurs essentielles. Face à la tension, trahir ses valeurs ou être mal jugé, beaucoup ont opté pour la première voie et ont fini par se dissoudre dans le concert des nations. C’est pareil avec la guerre à Gaza et l’alternative : « Mettez Netanyahou et le Hamas sur le même plan. Un partout et balle au centre pour que nous ne voyions plus ces images atroces ou, tant pis, nous aurons mauvaise opinion de vous ». Les Juifs tendres craquent face à la peur du vide à moins que, tout en modestie, ils n’osent se décerner le titre d’emmerdeurs. Inutile de les vilipender : ils ne méritent pas d’être les Juifs des Juifs. Pour compenser leur perte, le peuple d’Israël peut heureusement compter dans son combat sur de nouveaux compagnons de routes, dignes descendants des Justes parmi les nations et peut-être aussi individus qui aiment jouer les emmerdeurs.


 
 
 

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