NE PRENEZ PAS LES OTAGES EN OTAGE SVP
- Philippe Broda
- 14 juil. 2024
- 4 min de lecture
Dans le monde d’avant le 7 octobre, le scénario d’un ou deux citoyens pris en otage par le Hamas était une des pires craintes de la population israélienne. Le jour maudit, la frontière Sud du pays s’est transformée en porte de saloon. Les Palestiniens ont capturé environ deux cent quarante personnes. La moitié est encore retenue à Gaza. Comment se débrouiller de cette catastrophe ?
Le peuple juif possède une longue expérience de l’épreuve de la captivité mais pas sur une telle échelle. Ce genre d’événement était fréquent en diaspora. Les communautés étaient vulnérables et ballotées au gré des événements, soumises au bon vouloir des princes qui les gouvernaient. Plus d’une fois, des Juifs ont été faits prisonniers puis échangés contre rançon. Si vous voulez que nous libérions vos frères, payez. Des collectes de fonds étaient organisées dans les communautés afin de régler la facture et d’extraire les otages de leur geôle. Si l’une des plus hautes autorités religieuses, Maïmonide avait décrété qu’« il n’existe pas de plus grand commandement que celui du rachat des captifs », les débats entre sages étaient moins tranchés. L’argument des effets du paiement, à savoir le danger de la récidive, n’était pas esquivé. Au bout du compte, comme souvent dans la tradition juive, c’est le pragmatisme qui l’emportait. Quand la vie d’un frère était menacée, il était décidé de le sauver. Exception notable, au treizième siècle, le rabbin Meir de Rothenburg avait interdit que sa communauté paie l’empereur pour le sortir de prison. A sa mort, ses fidèles désobéirent et passèrent à la caisse pour obtenir la restitution de son corps.
Avec la création de leur propre Etat, les Juifs se sont retrouvés exonérés de ce devoir de solidarité. Comme pour les autres nations, la gestion des prises d’otages a été rattachée aux prérogatives du pouvoir central. Les situations de ce type se sont multipliées tout au long de l’histoire d’Israël. La position du gouvernement a presque invariablement été de ne pas céder au terrorisme. De ce fait, les forces de sécurité finissaient par prendre d’assaut le lieu de détention des otages. Les opérations ne se terminaient pas avec une parfaite réussite à chaque fois mais le message envoyé était clair. Au nom de l’intérêt général, l’Etat considérait que le priorité était de décourager l’apparition de nouvelles vocations. En 1974, dans une école à Maalot, l’Etat hébreu a ainsi refusé d’échanger plus de 100 personnes contre 23 terroristes. Les preneurs d’otages parvinrent à en tuer 25 dont 22 enfants avant d’être éliminés. Toutefois, l’« occidentalisation » d’Israël a remis en cause ce principe. En 2011, le pays a libéré 1000 terroristes, parmi lesquels Yahya Sinwar, en contrepartie du seul Gilad Shalit. Pour éviter la pression de la population et les transactions à un coût exorbitant, les autorités ont réagi avec la directive Hannibal qui vise à stopper à tout prix les tentatives d’enlèvement en cours, quitte à mettre en danger les otages.
Le 7 octobre a changé la donne à deux titres. Tout d’abord, l’étendue du carnage a mis un terme à l’hystérisation autour de la sauvegarde de la moindre vie individuelle. Les Israéliens ont retrouvé leur condition de peuple en guerre. Ils ont compris qu’ils n’avaient pas fini de verser du sang et des larmes. Et puis, autre conséquence, l’Etat qui est normalement garant de l’intérêt collectif a été aux abonnés absents ce jour-là. Par sa faillite, il a renvoyé les Juifs aux temps des pogroms de la diaspora. Des dizaines de milliers de citoyens ont été laissés à l’abandon pendant une durée interminable. Ces deux éléments s’opposent dès lors qu’il s’agit de hiérarchiser les objectifs de la guerre, qui sont libérer les otages et mettre le Hamas hors d’état de nuire. Selon le premier élément, le salut des otages passe après la victoire militaire alors que, pour le second, l’exigence de solidarité prévaut. Jusqu’à ce jour, le gouvernement a soutenu que les deux buts de guerre se renforçaient mutuellement mais, s’ils divergeaient, lequel des deux objectifs devrait être privilégié ? La réponse est d’autant moins simple que l’on sait qu’un nombre élevé des otages n’est plus en vie. Pour sauver 30 à 40 personnes, doit-on être prêt à revivre d’autres 7 octobre ? Qu’en pensent les Israéliens ?
La société israélienne reste divisée sur le sujet mais l’endroit « d’où l’on parle » n’est pas toujours déterminant. Dans ce dilemme entre intérêt général à long terme et dette morale immédiate, des familles d’otages ont fait savoir que la poursuite des opérations militaires devait être privilégiée. A l’inverse, des familles endeuillées par la perte d’un soldat à Gaza ont proclamé qu’elles préféraient le retour des otages à la reddition du Hamas. La politisation des débats ne peut que porter atteinte à l’émergence d’une solution. Les organisateurs des premières manifestations en faveur des otages avaient pris soin d’écarter toute revendication en ce sens. Leur slogan était juste « Bring them home now ». Les Israéliens pour qui un changement de gouvernement était plus important que tout, y compris le salut des otages, manifestaient à part. Depuis, une convergence est de plus en plus perceptible entre les deux mouvements – d’où une confusion parfois semée dans les esprits. Le kibboutz Mishmar Hanegev a récemment défrayé la chronique en refusant un temps d’afficher l’innocent slogan sous prétexte qu’il était politique. Et puis, faire des otages un sujet de politique politicienne, alors qu’il devrait transcender les partis, n’est pas vraiment rassurant. Cela remet leur sort in fine entre les mains d’un politicien roué sans morale.
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