PEUPLE ELU ET ELECTEUR
- Philippe Broda
- 30 juin 2024
- 4 min de lecture
A la mort de Claude François, Libération avait titré « a volté ». C’était la veille d’élections législatives. Aujourd’hui est une nouvelle journée d’élections législatives. L’ambiance est électrique en France. Et un grand nombre de Juifs a peur de se mouiller. Cet article n’est pas un guide pour les égarés, juste une évocation de quelques éléments qui pourraient peut-être les éclairer.
Comme son nom l’indique, le Nouveau Front populaire est un remake de l’union des partis de gauche qui se constitua dans les années 1930 pour faire bloc contre l’extrême-droite. A l’instar de la hausse du SMIC, les mesures économiques qu’il propose visent à réactiver l’image d’une gauche progressiste et responsable. Cette coalition ratisse très large, de Hollande à Poutou en passant par Mélenchon et Glucksmann. Alors, comment cet attelage hétéroclite se positionne-t-il sur la question juive ? De l’antisémitisme à peine voilé des insoumis au philosémitisme répandu chez les socio-démocrates, à quel endroit a été placé le curseur ? Rappelons que la gauche est née antisémite. Chez ses figures historiques, Blanqui, Proudhon, Fourier ou même Marx, le Juif incarne le capitaliste, le banquier, l’exploiteur. Bebel décrit ce tropisme comme le « socialisme des imbéciles ». C’est l’affaire Dreyfus qui change la donne. Puisque la droite et l’Eglise s’acharnent contre le capitaine, des hommes de gauche viennent à son secours. Jaurès abandonne ainsi le camp des antisémites. La gauche de gouvernement poursuivra cette mue et se choisira même comme chef Blum et Mendes-France, Juifs et sionistes par-dessus le marché. La gauche de rupture, elle, ne s’est jamais débarrassée de sa gangue antisémite.
Bien sûr, il y a eu des Juifs parmi les révolutionnaires : Trotski, Kamenev et Zinoviev. En France, la LCR en comptait même tellement que, selon une blague, si les réunions du bureau politique ne se tenaient pas en yiddish, c’est parce qu’un de ses membres, Bensaïd, était sépharade. Cependant, ces Juifs étaient totalement déjudaïsés. Le bouchon de l’antisémitisme a été poussé si loin chez les rouges que des bataillons de militants ont fini par quitter le navire, désabusés. N’oublions pas que ce sont les communistes du bloc de l’Est qui ont été les premiers, à l’occasion du « complot des blouses blanches », à avoir substitué « sionistes » à « Juifs ». Le renfort des décoloniaux et wokistes a récemment constitué un bain de jouvence pour ces extrémistes. Revenons au Nouveau Front populaire. Sur Israël, il a adopté presque sans sourciller l’approche LFI. Il prétend qu’il existe à Gaza un « risque de génocide ». Un génocide se définit comme l’intention d’exterminer un peuple. En autres termes, l’armée israélienne n’en commet pas encore – c’est la concession obtenue par Glucksmann, content de son audace – mais qui sait de quelle folie les sionistes sont capables ? Peut-être demain l’idée de régler le problème en larguant une bombe atomique sur Gaza leur montera-t-elle au cerveau ?
Que, pour la campagne des législatives, les principales outrances antisémites aient été mises de côté n’y change rien. Les socio-démocrates ont été victimes de la tactique du salami, en particulier Glucksmann – le fils ne valant assurément pas le père. Pour être sur la photo, ils ont baissé leur froc, jouant un rôle d’idiots utiles. Doit-on pour autant voter pour l’extrême-droite ? La situation est symétrique à l’autre bord de l’échiquier politique avec d’authentiques républicains qui viennent de manière assez semblable kasheriser une idéologie nauséabonde. Le Rassemblement national demeure un parti xénophobe. Il n’est nul besoin d’être fasciste pour refuser de céder aux revendications délirantes de quelques catégories de la population. Il ne faut pas confondre fermeté et fermeture. Alors qu’il existe un déficit criant de main d’œuvre dans des secteurs spécifiques de l’économie, l’extrême-droite continue de s’opposer à la régularisation des immigrés qui y travaillent et ne cherchent qu’à s’intégrer. La rigidité des principes et la peur de la différence priment sur le bon sens, ne parlons pas du sens de l’hospitalité. Cela n’empêche pas la majorité de l’extrême-droite de dénoncer l’antisémitisme en France – on croit rêver – et d’apporter son soutien à Israël dans sa guerre contre le Hamas.
Il suffit de se souvenir de l’Histoire de ce camp politique, sans même parler des dérapages de jeunesse des cadres actuels du Rassemblement national pour ne pas succomber à ce miroir aux alouettes. Ce parti n’est pas philosémite. Il déteste juste davantage les populations arabo-musulmanes que les Juifs. Plus précisément, il évoque la détresse de ces derniers uniquement parce qu’elle permet d’incriminer les islamo-gauchistes. Observer que le discours actuel de l’extrême-droite laisse un peu souffler les Juifs est une chose mais voter pour elle en est une autre. Pour ceux qui auraient besoin d’un signal d’alerte supplémentaire, dans les mouvances les plus à droite, le discours sur le régime de Vichy reste encore le plus souvent révisionniste. Comment un homme comme Serge Klarsfeld peut-il faire fi de ce constat ? L’élection n’est pas juste un match entre Le Pen et Mélenchon et, tant qu’on a la possibilité d’écarter ces deux monstruosités, pourquoi s’en priver ? Comme il n’est guère raisonnable de faire confiance à Macron, narcissique en échec aussi bien que cyclothymique, il ne reste plus grand monde. Voyez, le ménage est fait ! Il y a probablement dans votre circonscription un candidat qui ne passera d’accord ni avec le RN, ni avec LFI et qui n’est pas Renaissance. On dit merci.
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