PRISONNIERS, OTAGES ET TERRORISTES
- Philippe Broda
- 8 févr.
- 4 min de lecture
Revendiquant une soi-disant neutralité, les médias ont refusé de rendre compte de l’asymétrie existant dans les libérations actuelles d’Israéliens et de Palestiniens. Certains ont qualifié les Palestiniens emprisonnés d’«otages », d’autres ont dépeint les Israéliens aux mains du Hamas comme des « prisonniers ». Match nul. Allez, disons un peu les choses.
La mise en scène du Hamas lors des récentes libérations d’otages israéliens a eu son petit effet. Nombre de commentateurs se sont extasiés devant la démonstration de force. Ils s’attendaient probablement à voir apparaître sur les écrans deux-trois terroristes, dans un uniforme dépenaillé, poussiéreux et tâché de sang, qui boiteraient en accompagnant à grand peine des otages souriants et bronzés jusqu’au véhicule de la Croix Rouge - le personnel médical de la vénérable institution se précipitant vers eux pour leur prodiguer des soins tandis que les otages signeraient des autographes à une foule d’admirateurs. Tous ces ninjas dégageaient une telle impression de puissance ! A se demander pourquoi les tirs de roquette vers Israël s’étaient quasiment interrompus jusqu’au cessez-le-feu. En outre, l’installation d’une estrade constituait une superbe innovation depuis les premières libérations d’otages, avec des inscriptions en hébreu sans une faute, à rendre jaloux les Iraniens, et même en anglais. Le responsable de l’événementiel du Hamas s’est assurément surpassé. Pour faire patienter les spectateurs, des ninjas tenaient de leurs mains des représentations de chahids ou chouhadas sur fond de musique martiale.
Alors, les otages montaient sur l’estrade. Ils souriaient et saluaient les spectateurs avant de recevoir un certificat attestant leur statut d’otage ainsi que des goodies et, qui sait, des bons de réduction à faire valoir en cas de prochain kidnapping. Le tout était immortalisé par un peloton de cameramans du Hamas. Face à ces images, le président Macron a été pris d’un accès de lyrisme. Délaissant son marteau-piqueur - ces derniers temps, il creusait un chemin reliant le Louvre à la Samaritaine -, il a composé un sonnet en l’honneur de la libération d’Ofer Kalderon. A sa décharge, il n’est pas le seul à n'avoir pas saisi le caractère obscène de la situation. En effet, les otages étaient contraints de participer à cette parade. Le ballet était réglé dans les moindres détails par ceux qui avaient été leurs tortionnaires. Les malheureux avaient été affamés, battus, mis en cage, obligés d’apprendre l’arabe. Des viols ont été commis. Mais ils devaient dire merci. Quant à la marche vers le véhicule de la Croix Rouge, jusqu’à ce que les négociateurs y mettent de l’ordre, elle oscillait entre carnaval et lynchage. En transe, le public des prétendus génocidés déversait sa haine contre ceux qu’il souhaite génocider depuis si longtemps.
La guerre des images, celle-là également, semble avoir mal tourné pour le Hamas. L’état d’Eli Sharabi, Or Lévy et Ohad Ben Ami évoquait les rescapés d’Auschwitz. La peine de l’octogénaire Gadi Moses à se frayer un chemin vers le salut au milieu d’une multitude menaçante a révulsé les honnêtes gens. La photo des quatre soldates en uniforme levant ensemble la main a été perçue comme une preuve de solidarité et de courage. Et puis, malgré le calvaire enduré, les otages n’ont pas été brisés. Quoique terriblement amaigri, Gadi Moses a indiqué que son objectif était de reconstruire son kibboutz, Nir Oz. Agam Berger a pratiqué les rites religieux en captivité tandis que Emily Damari a enregistré un appel à la libération des otages qui a été diffusé dans le stade du Maccabi Tel Aviv, demandant au public de crier pour être entendu jusqu’à Gaza. Son poing brandi avec ses trois doigts est devenu autant un témoignage de résilience qu’un signe de ralliement. La judoka Raz Hershko lui a ainsi rendu hommage dans une compétition internationale en repliant le majeur et l’annulaire devant les photographes. Ce qui les réunit est leur amour de la vie et c’est ce qui les distingue de leurs ennemis qui, eux, ne jurent que par la mort.
Bien sûr, des moments tragiques nous attendent. Le rapatriement du corps des otages morts sera ô combien douloureux. Quelle scénarisation macabre le Hamas a-t-il prévu pour les enfants Kfir et Ariel Bibas ? Des mini cercueils avec une danse du scalp tout autour ? Aucune option ne peut être exclue avec ces barbares. Barbare, le mot est lancé. Certes, Lévi-Strauss considérait que le barbare, « c’est d’abord l’homme qui croit en la barbarie » mais, à ce bon apôtre du relativisme culturel, Lévinas avait objecté que tout ne se vaut pas. A propos des valeurs, il écrivit même que leur « choix ne peut se faire au hasard des goûts subjectifs et des caprices de l’inspiration. Le dilettantisme en l’espèce rejoint la barbarie ». Lors de ses pérégrinations, le peuple juif a côtoyé des voisins qui n’étaient pas toujours des plus accueillants. C’est un euphémisme. Alors, les Juifs ont repris leur baluchon pour revenir sur leur terre. Et là, par malchance, ils se sont heurtés à des voisins qui comptent parmi les pires auxquels ils ont dû faire face. Amos Oz implorait la communauté internationale d’aider au divorce d’Israël et des Palestiniens. Mais voilà, pour divorcer comme pour le tango, il faut être deux. En attendant, nous, nous vivrons !
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