UN GOUVERNEMENT A RESPONSABILITE LIMITEE
- Philippe Broda
- 24 août 2024
- 4 min de lecture
L’armée israélienne a publié les conclusions de son enquête sur les événements qui se sont déroulés au kibboutz Beeri le 7 octobre. Lors de cette terrible journée, 101 résidents, soit environ 10 % de la population, ont été assassinés et 31 ont été kidnappés. A ce bilan, il faut ajouter 23 soldats et membres de sécurité du kibboutz, ainsi que 8 policiers, qui ont également trouvé la mort pendant les combats.
Ces conclusions laissent pour le moins un goût d’inachevé. L’idée de mener des investigations sur chaque drame survenu pendant la guerre ne peut conduire qu’à un empilement d’enquêtes déconnectées les unes des autres. Or, ces théâtres d’opérations militaires étaient liés. A 7 heures du matin, seuls deux hélicoptères de combat étaient en capacité de porter secours aux habitants du Sud qui commençaient à être submergés. Intervenir au kibboutz Nirim signifiait que Beeri ne bénéficierait par de soutien aérien au même instant. Pourquoi ici et pas là ? Et surtout pourquoi n’y avait-il que deux hélicoptères disponibles à cet instant ? Voici le type de questions qu’une analyse se focalisant sur les micro-sites de batailles élude fatalement. Une approche globale est nécessaire. Le plus important n’est pas le niveau tactique, l’action des combattants à tel endroit, mais les niveaux stratégique et politique, la façon dont on est arrivé à cette situation. De plus, la guerre n’est pas terminée. De nouvelles catastrophes se sont produites depuis le 7 octobre – et il y en aura peut-être d’autres. A quel endroit doit-on arrêter les investigations ? Enfin, c’est la dernière limite, il s’agit d’une enquête interne, c’est-à-dire de Tsahal sur Tsahal. L’implication d’éléments extérieurs aurait écarté la suspicion de dissimulation.
En fait, la décision du chef d’état-major Herzi Halevi d’enquêter sur le fonctionnement de l’armée doit être comprise à l’aune des réactions des individus qui occupaient les postes clés de l’Etat le jour de l’attaque surprise du Hamas. Presque tous ont admis qu’ils portaient une lourde responsabilité dans le désastre. Yoav Gallant, le ministre de la Défense, a été très clair sur le sujet. Il a juste considéré que, dans un premier temps, il souhaitait remplir une double mission, mener le pays à la victoire et libérer les otages. Yaron Finkelman, le chef du commandement sud, n’a pas dit autre chose. Le chef du renseignement militaire, Aharon Haliva, était sur la même ligne… sauf qu’il n’a pas attendu la fin des hostilités pour présenter sa démission. Pour ce qui est de Halevi, avant d’être chef d’état-major, il a été commandant du front sud et chef du renseignement militaire. Il est ainsi bien conscient qu’il a des comptes à rendre à ces trois titres. Le souci est que le Premier ministre, Benjamin Netanyahu, n’a jamais reconnu sans ambiguité sa propre responsabilité. Il a plutôt essayé de se défausser sur la cécité du renseignement militaire et sur l’impréparation de l’armée.
Selon Netanyahu, une commission d’enquête ne pourra naître qu’après l’arrêt de la guerre. Ce point de son argumentation est recevable si l’on se souvient de la chronologie des suites de la Guerre du Kippour. Le cessez-le-feu est entré en vigueur le 24 octobre 1973. Le 21 novembre, soit moins d’un mois plus tard, la commission Agranat était créée. Composée de deux juges, du contrôleur de l’Etat et de deux chefs d’état-major à la retraite, elle avait été chargée par le gouvernement d’expliquer les causes de la catastrophe. En avril 1974, son rapport incriminait l’armée et les renseignements, tout en épargnant l’échelon politique. Sous l’impulsion de Motti Ashkenazi, qui avait commandé l’unique fortin le long du canal de Suez qui n’était pas tombé aux mains des Egyptiens, la population israélienne avait exigé que Golda Meir reconnaisse sa responsabilité, et surtout celle de son ministre de la Défense, Moshe Dayan, véritable cible des manifestants. Le gouvernement avait démissionné. En somme, en désignant avec insistance l’armée et le renseignement comme étant les responsables des manquements du 7 octobre, c’est le combat de l’opinion publique que Netanyahu a déjà entamé. Pas sûr cependant que ses déclarations polémiques lui permettront de sauver sa peau.
En d’autres termes, les conclusions de Beeri sont hors sujet. Quel sens cela a-t-il de juger des personnes envoyées risquer leur vie dans une situation de chaos ? Les premiers soldats qui ont tenté de défendre le kibboutz étaient mal équipés face à 340 terroristes surarmés. Ont-ils bien agi en se repliant ? Ce qu’ils contestent en plus. L’assaut de la maison de Passi Cohen aurait-il dû être livré ? N’est-il pas plus pertinent de s’interroger sur la stratégie qui consistait à acheter le calme à Gaza grâce à des valises de billets qataries ? Qui a misé sur le Hamas, prétendument dissuadé, pour affaiblir l’Autorité palestinienne ? De surcroît, Netanyahou, puisque c’est lui, est resté prisonnier de l’idée que l’armée doit être petite mais intelligente. Israël n’a pas fini de payer cette confiance démesurée dans les gadgets, qui est allée de pair avec un raccourcissement du service militaire. Cette vision n’est pas son œuvre – les bobos tel aviviens ont abondamment alimenté le fantasme – mais c’est lui qui était en place toutes ces années, pas eux. Sa responsabilité est engagée, non sur des signaux qu’il aurait mal interprétés le 6 octobre – les centaines de cartes SIM israéliennes activées d’un coup à Gaza par exemple – mais sur toute son action, sur les réponses sécuritaires qu’il a données ou pas depuis qu’il est en fonction. Réponses, responsable.
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