UN HOMME DE PAIX NOUS A QUITTES
- Philippe Broda
- 5 oct. 2024
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 6 oct. 2024
Le chef du Hezbollah est donc passé de vie à trépas. La première réaction des Israéliens a été la joie. Le sinistre individu qui leur annonçait à la télévision qu’il rayerait leur pays de la carte n’apparaîtra plus sur les écrans. Puis, quelques-uns se sont interrogés sur les conséquences. A sa place, un autre naze sera là. Il pourrait être pire. Et si la première réaction était la bonne malgré tout ?
Le poids d’un homme politique se mesure parfois au nombre de jours de deuil national que sa mort occasionne. L’Iran en a décrété trois après le disparition d’Ismaïl Haniyeh, un des chefs du Hamas. La fin brutale de Hassan Nasrallah en a occasionné cinq, autant que pour le décès d’Ebrahim Raïssi, l’ancien Président iranien, mort dans un accident d’hélicoptère. C’est moins que les quarante jours de l’ayatollah Khomeini mais cela reste énorme dans l’absolu. C’est autant de jours sans match de football, avec un calendrier des compétitions à reprogrammer. Il faut dire que les tarifs iraniens sont assez élevés. Au Liban et en Syrie pour Raïssi comme pour Nasrallah, trois jours seulement ont été décrétés. A se demander si ces deux pays ne devraient pas fusionner… Ces comparaisons sont porteuses de sens. Ainsi, en Cisjordanie, la mort d’Haniyeh n’a valu qu’un jour de deuil. Comme si ce terroriste avait été moins important à la cause palestinienne qu’au projet iranien de détruire Israël. S'il s'agit d'une prise de conscience des dirigeants palestiniens, c’est une excellente nouvelle. Toutefois, l’élément frappant est que, pour les Iraniens, le Libanais Nasrallah était aussi important que leur propre Président.
Hitler interrogea un mage sur la date de sa mort. Celui-ci lui répondit que ce serait le jour d’une fête juive. Face à la surprise du Führer, il précisa que les Juifs seraient tellement heureux ce jour-là qu’ils organiseraient des festivités. Derrière la blague, les célébrations du grand voyage de Nasrallah ont été discutées sur le plan moral en Israël. A-t-on le droit de se réjouir de la mort d’un ennemi ? Comme toujours, la tradition juive propose les deux réponses. Oui. Pourim qui commémore la pendaison d’Haman, un méchant ayant tenté d’exterminer le peuple juif, est inscrite au calendrier des fêtes. Non. Le seder de Pessah intègre un moment de tristesse en souvenir des Egyptiens noyés dans la Mer Rouge. Quoiqu’il en soit, la question est discutée ici sur le plan politique, pas moral. La problématique est différente. Le prédécesseur de Nasrallah, Abbas Moussaoui, a également été éliminé par Israël. Avons-nous gagné au change ? Comment sera son successeur ? Le travail méthodique d’affaiblissement du Hezbollah sert-il à quelque chose ? La chaîne de commandement et les stocks de missiles ne seront-ils pas remplacés ? Cette fois, la réponse est plus claire. La mort de Nasrallah est une excellente chose.
Pour le comprendre, il convient d’élargir le terrain de jeu, de sortir de la relation Israël-Hezbollah pour se positionner dans le vaste Moyen Orient. Aussi chaotique ait-elle été, la présidence de Donald Trump a accouché d’un événement fondamental : les accords d’Abraham signés sous son égide en 2020 entre, d’une part, Israël et les Emirats Arabes Unis et, d’autre part, Israël et Bahreïn. D’autres pays, le Maroc et le Soudan, sont montés dans le train par la suite. Et, sans la guerre actuelle, il est probable que l’Arabie Saoudite se serait jointe à la fête. Ces accords entérinent le fait que, pour les sunnites, l’ennemi n’est plus Israël mais l’Iran chiite. La présence d’un Etat juif dans la région est devenue tolérable –les Palestiniens s’isolant en refusant de renoncer à l’ancien logiciel. En réalité, face à la menace iranienne, pour les Etats du Golfe, la coopération avec Israël était rassurante. Ils s’alliaient à un pays solide, possédant une armée puissante et de très hautes capacités technologiques. Puis, patatras, le 7 octobre a donné de l’Etat hébreu une image de carton-pâte. Face à l’insignifiant Hamas, en comparaison du Hezbollah et de l’Iran, le nouvel allié est apparu bien inquiétant.
Si une entente entre l’Iran et les pays sunnites – laissons le Qatar de côté – ne semble guère envisageable, un dialogue s’est néanmoins amorcé entre les deux parties. Un modus vivendi peut-il être trouvé ? Visiblement, les Etats du Golfe ont commencé à avoir peur. Avons-nous misé sur le mauvais cheval ? Israël a sérieusement besoin de restaurer son image. Qui plus est, sur le front de Gaza, quelles que soient les réussites opérationnelles, rien ne peut y contribuer. Si Yahya Sinwar était tué demain et tous les otages libérés, on dirait qu’il a fallu tout de même un an et cela renverrait une nouvelle fois au 7 octobre. Dans ce contexte, élimination après élimination avec celle de Nasrallah en point d’orgue, la décapitation de toute la direction du Hezbollah, est à même de constituer un point de bascule. L’Iran est confronté à un sacré dilemme : ordonner à son principal allié dans la région de cesser le feu et reconnaître ainsi sa défaite ou le pousser à poursuivre une guerre mal engagée, l’exposant à un risque de râclée. C’est la survie de l’arc chiite, de l’Iran au Liban en passant par la Syrie, qui est en jeu. Et si les Libanais en profitaient pour désarmer le Hezbollah ? La cote d’Israel remonte, celle de l’Iran baisse. Pourvu que ça dure...
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