UP AND DOWN
- Philippe Broda
- 6 sept.
- 4 min de lecture
Alors qu’Israël est en guerre, l’antisémitisme se déchaîne partout dans le monde. Beaucoup de Juifs s’interrogent. Où vaut-il mieux vivre ? Des mouvements migratoires s’observent dans les deux sens. Des Israéliens s’installent en diaspora tandis que des Juifs de diaspora débarquent en Israël. Les problématiques sont différentes. Espérons que chacun s’y retrouve.
Par contraste avec l’immigration, qui continue d’être qualifiée d’alyah, signifiant montée, le départ du pays, autrefois appelé yérida, descente, porte aujourd’hui le nom de relocation, à prononcer rilokéchone. C’est de l’anglais. Ce changement d’expression indique une volonté de déculpabiliser. Il est vrai que le nombre des émigrants a significativement augmenté depuis deux ans. Il semble que, dans les années à venir, le solde migratoire devrait toutefois être largement positif. A la vague de relocation répond une explosion des ouvertures de dossiers d’alyah à l’Agence Juive. Tous les Juifs qui l’ont entamée n’iront pas au bout de la démarche mais, si le pourcentage de concrétisation reste stable, une forte hausse de l’alyah est à prévoir. Il n’empêche que le fantasme d’un exode massif est presque aussi ancien que le pays avec une citation biblique en toile de fond : c’est une terre qui « vomit ses habitants ». Juste avant la Guerre des Six Jours, tandis qu’Israël était plongé dans une récession économique, la blague qui courait, et qui a été récemment ressortie, était « Le dernier qui sort du pays est prié d’éteindre la lumière ». Ah, cela réglerait bien des problèmes mais que les antisémites ne rêvent pas trop.
Dans le sens de la montée, il y a évidemment des Juifs qui sont attirés par Israël et s’inscrivent dans une perspective positive. Ils souhaitent revenir sur la terre de leurs ancêtres, que leur projet soit l’aboutissement d’un long processus personnel ou une réaction épidermique à la menace existentielle qui pèse désormais sur Israël. Que leurs motivations soient l’identité juive, la religion ou la solidarité, ils marchent la tête haute. Cependant, la croissance actuelle de l’intérêt pour l’alyah renvoie essentiellement à une dimension négative, à savoir la prise de conscience que les Juifs sont devenus indésirables dans leur pays d’origine. Sans que cela se traduise forcément par des actes de violences physiques, ils ressentent la vive hostilité d’une bonne partie de la population. L’exemple vient d’en haut en France. Alors ils cachent leurs origines, se dissimulent, utilisent des codes. Tous ne passeront finalement pas à l’acte. Les obstacles ne manquent pas : la guerre, la langue, l’absence d’équivalences professionnelles, la cherté de la vie – on dit que, pour être millionnaire en Eretz, il faut y venir en étant milliardaire – mais que tant de Juifs l’envisagent malgré tout est plus qu’édifiant.
Dans le sens du reflux, les motivations sont très variables. Le séisme du 7 octobre, la durée record de la guerre avec ses interminables périodes de réserve, les nuits dans les abris et la peur d’envoyer des enfants à l’armée a eu raison d’Israéliens en quête de normalité. Après avoir craqué, ils s’en vont discrètement, souvent le cœur lourd. D’autres quittent le pays de façon plus théâtrale. Ils appartiennent majoritairement aux classes dominantes. A l’instar des poissons-pilotes de la high tech, ce sont des ultra-libéraux sur les questions économiques et sociétales. Quand les temps sont calmes, ils n’ont d’autre horizon que de commander du tofu en hébreu. Mais voilà il y a Benjamin Netanyahou. Tout à singer les héroïques citoyens européens qui veulent faire barrage à l’extrême-droite, ils manifestent contre le gouvernement, menaçant de s’exiler pour des raisons politiques. Pourtant, à force de s’autopersuader qu’Israël est devenu une dictature, quelques-uns franchissent le pas. A cet endroit, ceux qui optent pour une relocation en Europe laissent songeur. Ils préfèrent un continent avec une extrême-droite aux portes du pouvoir et par nature antisémite à un pays où elle est à 10 % et n’est pas antisémite. Au moins, le choix de la Thaïlande, destination prisée, a le mérite de la cohérence.
Si des religieux antisionistes ont déjà quitté la Terre promise, nombre d’entre eux proclament qu’ils sont sur le départ. Réticents face à la nécessité de servir sous les drapeaux, ils redoutent qu’une loi sur la conscription les y oblige. Leur traitement de faveur – exemption d’armée et perception d’aides publiques en cas d’études religieuses – est sur le point d’être abrogé. En s’établissant en diaspora, ils échapperont certes au service national mais, si aucun gouvernement ne refuse de leur verser des subventions quand ils étudient la Torah, c’est simplement parce qu’ils n’oseront jamais en formuler la demande. De plus, pour les Juifs religieux, débarquer dans une contrée hostile en étant repérable à des kilomètres en raison de leur accoutrement ne sera pas sans danger. Pour les islamo-progressistes à la petite semaine, ils seront une cible de rêve et les malheureux ne pourront pas vraiment compter sur la protection des autorités, lesquelles finiront de surcroît par interdire la circoncision et l’abattage rituel kasher. En dépit de cette ambiance délétère, gageons que les élites tel aviviennes en diaspora et les religieux antisionistes trouveront l’énergie pour continuer à se détester mutuellement. Comme en Israël.
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