WHAT A WONDERFUL WORLD
- Philippe Broda
- 14 déc. 2024
- 4 min de lecture
La tradition juive rapporte des discussions entre des sages ou entre des anges sur la question : « la création de l’homme était-elle une bonne chose ? » Ces débats aboutissaient d’ordinaire à la même synthèse : il aurait mieux valu que l’homme ne soit pas créé mais, maintenant qu’il l’était, autant qu’il se conduise de façon morale sur terre.
Malgré ce jugement sévère, auquel on peut ajouter deux millénaires de persécutions systématiques, le regard des Juifs sur la condition humaine n’a pas été toujours été sombre. Le poids des commandements et l’étude des textes sacrés n’ont pas empêché une prise de recul qui a été permise par un sens de l’humour, et même de l’auto-dérision, à presque toute épreuve. L’histoire du Juif communiste qui envoie son fils dans une école privée catholique l’illustre délicieusement. L’enfant revient à la maison et fait état de sa profonde admiration pour la Trinité. Le père s’énerve : « Ecoute, Moyshe, nous sommes des Juifs. Nous n’avons pas trois dieux, nous n’en avons qu’un et, en plus, nous n’y croyons pas ! » Si la loi se trouve au cœur de la vie juive, elle ne doit pas l’étouffer. Le quotidien reste une préoccupation centrale. En résumé, d’un côté, les rabbins sont en mesure de naviguer en haute altitude, rattachant une question aussi cruciale que « a-t-on le droit de manger un œuf qu’une poule a pondu le Chabbat ? » à la place du travail dans la société, mais, de l’autre, ils sont extrêmement soucieux des conséquences pratiques de leurs décisions juridiques. Cela tend à les faire revenir sur terre.
Cette nécessité de ne pas couper le lien entre le concret et son interprétation protège pour l’essentiel la pensée juive des risques de dérapage. Par contraste, comme l’explique Hannah Arendt, le totalitarisme, que ce soit sous sa forme d’extrême-gauche ou celle d’extrême-droite, se caractérise par un immense « ressentiment » contre le donné. Pour un communiste, les faits sont fascistes. La vocation de l’intellectuel est de leur tordre le cou, de proposer des pistes permettant de s’en émanciper. Voilà à quoi le respectable savant utilise sa vaste érudition parce que lui aussi a lu des livres évidemment. L’avantage est double. Grâce à la distance avec la réalité qui n’est rien d’autre qu’un « construit », assène-t-il pompeusement, il a raison en toutes circonstances. La « Révolution culturelle » ? Elle a échoué car Mao n’est pas allé au bout de son projet. Et puis, quand on atteint de tels sommets, tout se trouble fatalement. Les nuances s’estompent. Il est facile de faire prendre les vessies pour des lanternes. C’est ce que d’aucuns désignent comme « la folie des grandeurs ». Si les inégalités économiques donnaient malgré tout du sens au communisme, ses avatars contemporains l’ont définitivement disqualifié.
Le traitement du racisme par les décoloniaux et les wokistes en tout genre est typique de cette approche. Leur objectif n’est pas de lutter par exemple contre les discriminations à l’embauche. Les problèmes de la vie quotidienne des hommes de couleur ne les intéressent pas. L’intention déclarée de ces militants est de s’attaquer aux prétendues racines du mal, de détruire les statues des personnages historiques jugés responsables du système esclavagiste – et si cela choque leurs concitoyens, c’est encore mieux. La logique est celle de la revanche, de mettre à genoux de supposés adversaires. Nous sommes aux antipodes de Martin Luther King qui s’efforçait de sensibiliser toute la population à son combat. Le discours alambiqué des décoloniaux est d’instituer une différenciation des individus. Des réunions sont organisées exclusivement pour les minorités visibles. Toujours diviser plutôt que rassembler à partir d’un état des lieux. Enfin, envisager que les minorités visibles soient elles-mêmes capables de préjugés racistes est un scandale. Elles sont censées en être dénuées, par nature probablement. Stratagème immunisateur bien connu, l’accusation d’« islamophobie » pend au nez des impudents.
Quand on en arrive aux Juifs, victimes d’un antisémitisme historique, de la Shoah, etc…, ce n’est plus tout-à-fait la même limonade. Ils ne subissent pas le racisme puisque ce sont, au contraire, des oppresseurs, c’est-à-dire des « blancs ». N’accusez pas ces grands malades d’être en plus des daltoniens. Le blanc est juste conceptuel ici. Pour comprendre, il est nécessaire de s’élever jusqu’à la stratosphère. Voici comment la crème du progressisme analyse la situation actuelle au Moyen Orient. Il y a sept entités qui ont attaqué Israël à tour de rôle. A chaque fois, l’Etat hébreu n’a fait que répliquer. Aucun de ces sept agresseurs ne reconnaît son droit à l’existence. Il n'y a pas de dirigeant palestinien disposé à signer un traité de paix avec l’Etat juif. Et pourtant, qui commet un génocide, un urbicide, un écocide, un jeunicide, un sporticide, un cultiricide, un médiacide etc… qui rappellent le déicide. Israël et ses séides ! Translucides assurément. A une telle altitude, ces alpinistes côtoient presque le divin. Comment Dieu, qui est dans les cieux et sur la terre, peut-il tolérer d’entendre de telles niaiseries à sa porte ? Son sens de l’humour est parfois déroutant. Impénétrables sont ses voies…
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